Tout le monde...

Tout le monde adore les vélos en « libre service » !

Une multiplication infinie des usages : bricolage, coloriage, décoration

Tout droit venus d’Asie, les vélos en « libre-service » envahissent depuis quelques semaines les smart city françaises. Il paraît de prime abord qu’ils ne sont réservés qu’à une partie infime de la population. Car d’une part, leur usage semble adressé à une catégorie très particulière de consommateurs, que l’on dirait doublement fainéants : trop flemmards pour marcher, et trop feignants pour renoncer à leur voiture pour un vélo. En outre, on pourrait aussi s’inquiéter que la prise en main de ces vélos demeure l’apanage d’une petite élite jeune et connectée, car elle exige un certain perfectionnement dans le maniement du smartphone.

Un lecteur soucieux de démocratie et d’écologie, a voulu s’assurer que l’usage de ces fabuleux objets connectés ne resterait pas limité au petit nombre, et a donc souhaité vous faire part des possibilités étonnantes que recèlent ces nouveaux vélos : on peut bien sûr les utiliser pour rouler, mais aussi pour plein d’autres choses ! Voici donc quelques exemples d’utilisations universellement accessibles des vélos en « libre-accès ».

Pédagogie du changement et de l’innovation : en selle vers la smart city !

Avant toute chose, quelques notions essentielles pour comprendre le fonctionnement de ces jolis vélocipèdes colorés. Plusieurs start-up à vélos se livrent actuellement à une concurrence guerrière, souvent plus de 3 ou 4 par villes, jusqu’à que l’une d’elles obtienne le monopole. A Paris nous avons pour l’instant une certaine biodiversité, avec quatre espèces de « vélo-papillon » : les Obike jaune-gris de Singapour, les Gobee.bike verts de Hong Kong, les Mobike orange et argent, et les Ofo en jaune poussin, venus tous deux de Chine. Est-il besoin de rappeler les multiples avantages de ces « biens communs » ? Le vélo en « libre accès » est déjà, comme tout vélo, très écologique. Bien qu’il ne soit utilisé statistiquement que par des gens qui étaient déjà cyclistes ou usagers des transports en commun, il serait parfaitement « vert » s’il ne finissait pas si rapidement et si massivement dans les déchetteries.

Autre avantage par rapport à tout autre moyen de transport : le coût très faible de la course, environ 1 euro, grâce à la pression de concurrence. Comment les entreprises arrivent-elles à rentabiliser la production de milliers de vélos, en pratiquant des prix si bas ? Beaucoup de start-up ont d’ores et déjà fait faillite dans les villes françaises : Reims, Lille…  Cependant, « les données massives collectées par Ofo et Mobike ont une valeur monétisable. Elle est peut-être même plus élevée que les recettes apportées par les trajets payants ou la fructification financière des dépôts de garantie1 ». Puisque ces vélos ont le mérite d’être intelligents, ce n’est pas tant le travail de leurs roues qui rapporte de l’argent à la compagnie (prix de course), mais bien plutôt la production de données (identité, trajets, géolocalisation) qui peuvent être revendues au prix fort. Un vrai mouchard ambulant !

Le vélo en « libre accès » est donc un produit magique : même le fait d’en jouir et de l’utiliser produit de la valeur ! La start-up emploie à cet effet ses propres clients (gratuitement) pour faire du vélo un produit « autonome » : laissé sur un coin de trottoir, sur les places ou devant les établissements très fréquentés, le vélo en « libre accès » fait « lui-même » sa propre publicité, se commercialise « lui-même », et apprend « lui-même » son mode d’emploi aux usagers — « lui-même », c’est-à-dire bien sûr que l’usager fait lui-même le travail. Après avoir fait sa « course », il est par exemple incité financièrement à déposer le vélo dans un endroit qui assurera sa visibilité auprès des prochains clients. Cependant, le modèle n’est pas encore parfait, en raison certainement d’une surveillance trop laxiste des usagers : certains récalcitrants refusent de faire ce « geste citoyen », et s’autorisent même à poser leur vélo au beau milieu d’un trottoir, d’un buisson ou dans une ruelle perdue. Quelques sbires à la solde des start-up déployés quotidiennement dans les rues doivent donc s’occuper de remettre les vélos aux bons emplacements.

A cause du « manque de civisme » des usagers, et de la concurrence qui fait rage en l’attente d’un monopole, la rentabilité n’est pas encore au rendez-vous. Néanmoins, « la rentabilité future des vélos-papillons […] ne fait cependant guère de doute. Le verrouillage électronique et le suivi vidéo s’améliorent pour réduire les pertes et dommages sur les vélos2 ». Il faudra attendre les dernières prouesses du contrôle et de la surveillance de masse pour inciter les utilisateurs à mettre fin à leurs « comportements antisociaux ». A la fin, on devrait pouvoir profiter d’un vélo aussi renseigné que les services de Renseignement, ce qui pourrait en faire le mode de transport favori des Français sous état d’urgence permanent.

La police aussi devient smart !

Il faut pourtant faire remarquer à nouveau que son emploi n’est guère optimal ni accessible à tous. Il est relativement simple pour le digital native, qui n’a qu’à dégainer son smartphone pour 1) télécharger l’application, 2) décliner son identité et ses coordonnées bancaires (qui serviront à surveiller son « civisme »), 3) payer une caution (que la compagnie ne remboursera pas si, hélas, elle fait faillite), et 4) débloquer l’antivol pour enfin jouir du libre usage du deux-roues. Quant aux autres, qui ne se sentent pas encore le courage de faire le grand saut de l’ « innovation », ou qui n’apprécient pas à leur juste valeur le « changement » et la « nouveauté », ils ont déjà développé un rapport tout autre à ces objets étranges et coloriés qui colonisent nos rues. Nous voudrions vous présenter quelques-unes de leurs pratiques alternatives, comme disent les sociologues, en espérant que, si vous faites partie vous aussi de la seconde catégorie, vous trouverez parmi ces exemples un usage de ces vélos qui vous convienne.

Pratiques alternatives : bricolage, rangement, déco’ et coloriage

Dans le domaine des usages alternatifs de ces vélos en accès limité et libres de s’approprier l’espace public, il faut reconnaître que les Asiatiques, les Australiens et les Américains sont à l’avant-garde, et que nous, en France, nous sommes à la traîne. Sans vouloir être exhaustif, présentons donc quelques inventions de ces pionniers pour inspirer ceux de nos concitoyens qui ne sont pas encore bien familiarisés avec les infinies possibilités que recèlent ces nouveaux joujoux.

Il faut bien reconnaître que les consommateurs et les badauds ont rivalisé d’inventivité pour mettre en place de nouvelles pratiques, et corriger par eux-mêmes le manque d’imagination des concepteurs de vélos intelligents. Rendons d’abord hommage aux artistes et aux décorateurs qui ont découvert des manières toutes plus étonnantes les unes que les autres de valoriser les belles couleurs de ces amusants deux-roues. Certains ont pris l’initiative de remettre un peu de « jaune » sur des arbres flétris et effeuillés par l’hiver :

D’autres ont choisi d’accrocher un vélo à des panneaux signalétiques un peu mornes, ou de le déposer sur du mobilier urbain, pour un résultat des plus fantasques :

D’autres encore ont fait des vélos le moyen d’une véritable consolidation du lien social. Sans doute été émus par le désespoir des pêcheurs qui peinent à trouver des poissons dans la pollution des eaux urbaines, ces bienfaiteurs anonymes ont résolu de mettre à leur disposition quelques vélos pour qu’ils puissent à nouveau pratiquer leur hobby. La manipulation consiste à mettre à l’eau tous les deux roues possibles, afin de transformer l’appli’ en une sorte de Pokémon Go pour pécheurs de vélo :

Les vélos peuvent donc aussi, logiquement, être utilisés dans le cadre d’activités sportives subaquatiques. Ceux qui préfèrent la natation à la pêche n’hésitent pas à amener les vélos avec eux sous l’eau :

Pour les plus bricoleurs d’entre vous, il est également possible de remanier à votre convenance les différentes parties du vélo, dans le sens ou la direction qu’il vous plaira, et même, pour les plus malins, d’en emporter certaines parties avec vous !

Il y en a donc pour tous les goûts, et les variations sont infinies : ceux qui aiment creuser des trous enterrent les vélos dans des sites de construction, ceux qui n’ont pas de grand mère peuvent jeter leur vélo dans les orties, ou dans les buissons, etc. Tout le monde s’en donne à coeur joie : du vieil amateur de domino géant…

 

… jusqu’aux municipalités chinoises entre lesquelles se joue une compétition féroce à qui fera le plus gros tas de vélos inutilisés :

La liste est encore longue, mais finissons-en : la palme des usagers les plus inventifs revient sans conteste aux enfants, qui ont mis en oeuvre des techniques décisives pour améliorer les vélos intelligents. Un petit coup de marteau bien placé semble leur épargner de longues démarches administratives.

 

D’autres enfants, qui maniaient peut-être un peu moins bien le marteau, se sont reportés sur le coloriage !

On ne peut plus scanner le vélo pour le déverrouiller !

Voilà donc un panel d’usages fort réjouissant qui nous paraît rendre ces vélos un peu plus « démocratiques ». Pour sûr, on n’a pas fini de découvrir les multiples possibilités qu’ils renferment. N’hésitez pas à nous faire part de vos inventions personnelles !

Notes   [ + ]

1. Lire « Vélos en libre-service : la lutte pour survivre« , sur The Conversation.
2. Même source que ci-dessus. Ajout : depuis la publication du présent article, est également paru sur The Conversation un article de pleurnicherie sur les coûts et l’encombrement engendrés par les vélos en free floating, dont le revers est un éloge du Vélib’ « responsable » : « Vélos responsables ou vélos prédateurs ? Vélib’ ou « free floating » ?« 

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