Dialogue entre gilets jaunes et black bloc
Alors que les « black blocs » sont applaudis à Hong-Kong, au Chili ou ailleurs, aucun petit politicien français, de la droite à la gauche anticapitaliste, ne semble les apprécier, ni même les connaître dans son pays. A chaque manifestation qui tourne aux affrontements, on entend tout et son contraire sur les manifestants masqués : les organisateurs disent « les black blocs sont là pour décrédibiliser le mouvement! » et les manifestants lucides « s’il n’y a pas de casse on n’obtient rien ». Les policiers pleurnichent : « on ne nous laisse pas intervenir contre les black blocs, on ne nous donne pas assez de moyen », et certains spéculent : « les black blocs sont des policiers infiltrés ». Des vidéos et des photos deviennent virales et sont brandies comme preuve de la théorie du « casseur-flic infiltré ».
Pourtant il est manifeste que le black bloc n’est ni une bande de casseurs cinglés, ni un groupe piloté par la police, quand bien même quelques cas individuels douteux pourraient être identifiés. Si les manifestants se masquent et se confrontent à la police, c’est d’abord pour se défendre et défendre les autres manifestants, comme le font les étudiants à Hong Kong, ou les manifestants chiliens, où « black blocs » et manifestants pacifiques coopèrent et s’entraident. De sorte que la confusion entre flic cagoulé et manifestant masqué pourrait bien ne profiter qu’au gouvernement et à sa police.
En France, à plusieurs reprises, le black bloc a été applaudi en manifestation gilet jaune. Il y a même eu, en février 2019, un dialogue entre Priscillia Ludosky (gilet jaune) et des partisans de la technique black bloc qui a été publié sur Twitter. Nous le republions ici, en espérant que les sceptiques puissent y trouver l’envie de se renseigner sur les pratiques des manifestants masqués et, peut-être, de découvrir des rapprochements possibles.
A l’occasion de divers rassemblements de Gilets Jaunes nous rencontrons pas mal de citoyens dont une partie plu connue sous le nom de « black blocs ». Ceux-ci sont venus à la rencontre de certains organisateurs afin d’expliquer leur démarche et durant cet échange ont proposé de communiquer à ce sujet pour permettre aux uns et aux autres d’en savoir plus. C’est ainsi qu’un questionnaire, qui pourrait s’apparenter à une interview, leur a été transmis et dont le résultat se trouve ci-dessous.
I. Question des Gilets Jaunes
Nous, les Gilets Jaunes, organisateurs des manifestations à Paris, vous adressons cette demande pour nous expliquer quels sont les buts de votre présence sur les manifestations. Parce que les gens (citoyens, Gilets Jaunes, la société, presse et média, etc.) ne savent pas le motif de votre présence et de vos actions lors de vos apparitions, le questionnaire permettra d’éclairer, de clarifier, ou de légitimer votre mouvement pour l’ensemble des citoyens.
- Premièrement, les Black Blocs, que représentent-ils ? Pouvez-vous nous faire une brève présentation de votre groupe, et de vos revendications ?
- Pourquoi avoir choisi ces méthodes d’actions ? Jusqu’où êtes-vous prêts à aller ?
- Pouvez-vous nous expliquer votre stratégie d’action et sur les fins de parcours des manifestations ?
- Quelle partie des citoyens représentez-vous ? Et sur quel secteur géographique agissez-vous ?
- Si c’est uniquement à Paris que vous agissez, comment sont organisées vos actions ?
- Quel est votre point de vue sur les oppositions et les contacts avec les forces et les violences qu’elles engendrent ?
- Pour bien comprendre, quelles sont vos cibles et que pensez-vous de l’action des Gilets Jaunes et de leurs revendications et si possible votre position envers les représentants de l’état ?
- Serez-vous présents sur les prochains mouvements ? Si cela vous est possible répondez à l’ensemble des questions posées ou seulement aux questions auxquelles vous désirez répondre. Si vous le souhaitez, il est possible d’effectuer en plus des écrits, un enregistrement audio ou vidéo anonyme en complément de vos revendications. Je vous remercie de nous permettre de mieux vous comprendre et nous communiquerons vos réponses à l’ensemble de la presse. Ce communiqué sera envoyé et c’est vous qui choisissez d’y mettre les réponses que vous souhaitez partager. Nous, les Gilets Jaunes, vous remercierons de vos réponses.
II. Réponse de Black Blocs
Préambule
Premièrement le “Nous, Gilet Jaune” et le “Vous” n’existe pas. Commençons sur de bonnes bases. Aucune opposition n’est possible car nous sommes inséparables. De ce principe, notre présence et notre but sont les mêmes que pour tout bon GJ : se battre contre ce système corrompu créant de l’injustice sociale, économique de plus en plus flagrante.
Le citoyen lambda (dont nous faisons partie) doit savoir que les motivations ou “motifs” sont les mêmes pour tous les acteurs du mouvement GJ. Donc ce n’est pas un mouvement dans le mouvement, mais une partie du mouvement hétéroclite qui fait l’originalité des GJ.
1. Le Black Bloc ne représente rien de plus qu’une façon de manifester, en aucun cas une organisation, “groupe” ou autre mouvement politique. Il n’y a pas de structure ou d’organisation, seulement des affinités ou non qui naissent.
La formation d’un “Black Bloc” ou yellow bloc comme le 1er décembre [2018] découle d’une situation de tensions lors d’une manifestation ou les personnes les plus aptes à faire face à l’agression des forces de l’ordre se mettent en première ligne protégeant ainsi les plus vulnérables. Donc il n’a pas de revendications spécifiques car il participe à des manifestations concordant à ses idées comme n’importe quel acteur de cette manifestation. Cette formation n’est donc pas préparée par un groupuscule ni “fantasmée” par des personnes se révoltant contre la répression et se regroupant en faisant bloc.
2. Ses méthodes d’actions ?! Comment rester pacifique face à la violence policière ? Certains GJ ont donc décidé de ne pas se laisser faire. La vraie violence se situe devant nos yeux dans les rues où des gens meurent et mangent dans les poubelles.
La vraie violence c’est celle de cet État qui tient des milliers de personnes dans un état de survie, où travailler n’est qu’un moyen de ne pas couler complètement, et même comme cela les gens honnêtes ne parviennent pas à ne pas finir en surendettement. Pas besoin d’être mathématicien pour comprendre que lorsque les sorties d’argent sont plus importantes que les entrées il y a maldonne.
La violence ce sont ces jeunes qui se prostituent pour pouvoir étudier. Ce sont ces mains tendues sur les trottoirs. Ce sont ces mobiliers anti-SDF. Ce sont ces inégalités éducatives qui, dès le plus jeune âge, classent la population en groupes élitistes ou non. La violence ce sont ces personnes âgées vivant sous le seuil de pauvreté. Ce sont ces femmes seules qui se battent pour que leurs enfants ne subissent pas le même destin, etc.
Alors, rappelez-vous pourquoi le gouvernement a bougé après le 1er décembre [2018], car il a eu peur. Le gouvernement nous maintient dans cet état de précarité, de soumission car il a peur de nous. Il nous maintient avec juste ce qu’il faut pour ne pas avoir trop faim et juste ce qu’il faut pour ne pas se révolter de perdre le peu qui le maintien difficilement à flot. Il a peur du soulèvement et du réveil citoyen. Sa police et sa gendarmerie sont leurs derniers remparts face à la détresse des gaulois réfractaires.
Donc la méthode est la même qu’en mai 1968 ou autre grand mouvement social français ultérieur ayant abouti à des résultats. Quand les plus faibles ne peuvent répondre aux attaques des forces de l’ordre, les plus déterminés font face, renvoient des lacrymogènes, barricades et autres moyens de retranchement, mettent en sûreté les plus vulnérables dès les premiers assauts des forces de l’ordre.
Ensuite cela devient, à bon entendeur, “œil pour œil”. Les “casseurs” d’aujourd’hui seront les héros de demain. Nous sommes prêts à aller jusqu’où la manifestation ou le soulèvement nous portera. C’est l’État qui a les clés en main. Plus la répression est forte plus la résistance sera tenace (ceci ne se fera jamais sans le soutien de la masse).
3. La stratégie de fin de parcours, nous la vivons ensemble tous les week-ends avec les nassages et gazages d’où la beauté des actes où les manifestants ont décidé de ne pas se laisser faire. Reste alors deux choix possibles : la fuite ou y faire face, soit la soumission ou la résistance citoyenne.
4. Nous ne représentons que nous-mêmes, les participants restent des libertaires et non des identitaires. Les secteurs géographiques sont donc les mêmes que pour les GJ. Donc désolé même si c’est à Paris où les institutions se trouvent, tous les GJ n’ont pas les moyens d’y aller tous les week-ends. Il n’y a pas d’organisation [du black bloc] à proprement parler. Il faut arrêter les fantasmes. Les prétendues organisations ne sont que des groupes de personne ayant des affinités. On se retrouve, on bouge ensemble, on se protège les uns et les autres.
5. Chacun est libre de ne pas tendre la joue gauche à la police politique de Macron. Les violences ne sont que le résultat logique de la politique violente de notre gouvernement.
6. Comme dit précédemment, le combat est le même pour tout GJ qu’importe la méthode. La faim justifie les moyens. Nous nous battons contre tout ce qui est néfaste et qui découle du capitalisme dont la liste est non exhaustive : les professeurs sous-payés, les inégalités éducatives, les médecins et personnels soignants sous-payés et surexploités dans des hôpitaux bondés, la médiocrité des produits quels qu’ils soient dans une logique de profit au détriment de l’humain, la surproduction, le gâchis, la faim, les recherches médicales inabouties car non rentables, l’obsolescence programmée, l’écologie punitive des « fainéants » quand on impose des taxes carbone alors que l’on exonère les vrais pollueurs en décourageant le marché local.
Ce que nous revendiquons :
– La remise en place de la séparation des pouvoirs selon notre constitution. (Gouvernement imposteur)
– Le RIC
– Les retraites décentes
– Combat de la finance
– La Justice sociale et fiscale (puisqu’une poignée d’êtres humains possède plus que les ¾ de la population générale)
– La justice pour tous
Et bien sûr, la destitution du gouvernement et dissolution de l’assemblée.
Nous sommes tous GJ et aspirons aux mêmes buts. Le black bloc en est juste une conséquence et non une cause.
ON NE LÂCHE RIEN, GJ JUSQU AU BOUT !
08/02/2019
Sources :