Situation

Les ânes du pragmatisme

« Les ânes sont En Marche, arrêtons les ! »

« Oui qu’il y ait des gens à la rue, c’est horrible, mais il faut s’adapter à la réalité… » Ce pseudo-pragmatisme à la source des nombreuses réformes du gouvernement Macron, c’est une valeur d’âne : une valeur qui mutile la vie au nom d’une « réalité » triste qui n’existe que pour ceux qui y croient.

Nous, étudiants, chômeurs, salariés précaires, surqualifiés ou surexploités, entendons beaucoup parler de nous. Et nous entendons surtout des ânes parler.

Selon eux, nous serions « nihilistes », incapables de dire autre chose que non, sans même dire merci. Non, nous ne voulons pas de la réforme des universités, de la loi ORE et de Parcoursup. Non, nous ne voulons pas de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Non, nous ne voulons pas de la réforme de la SNCF. Non, nous ne voulons pas de la privatisation des hôpitaux, ni du licenciement de nos camarades.

Non. Alors certes, nous sommes peut-être un tantinet « nihilistes » à propos des banques, du trading haute-fréquence, de la technocratie ou du monde politique. Forcément : nous ne voulons pas d’un monde qui ait les quatre dimensions d’un coffre-fort, l’allure d’un CRS et la tête d’un économiste.

Pour eux, nous sommes des zouaves : des enfants, des mineurs, des singes domestiques. Ils le répètent sur France Inter et sur BFM : il faut mettre le paquet sur la pédagogie pour nous calmer et nous convaincre du bien-fondé des réformes. Quelle joyeuse bande d’irresponsables nous formons ! Père Macron veille au grain, sévère avec sa matraque, il ne cèdera pas à nos caprices.

Nous le confessons, nous ne nous entendons pas tant que ça avec les forces de la finance, de la politique ou de l’entreprise… Mais nous ne sommes nullement nihilistes. Nous croyons en beaucoup de choses, nous en aimons plus encore. Si leur monde ne nous convient pas, c’est qu’il y a une brèche dans notre coeur : de jolies plantes y poussent qui n’affectionnent pas les airs tristes.

Ce sont bien plutôt eux qui ne croient en rien. Leur respiration est faiblarde, leurs yeux à peine entrouverts. Ils affirment que les zadistes sont trop fainéants pour devenir de bons propriétaires, ils pensent que le mouvement étudiant émane d’une frange d’arrière-garde marginale, ils imaginent que tout le monde rêve de participer à leur société, à leur « bien commun » en devenant riche et costumé, à l’exception de ces erreurs résiduelles : ces « assistés » de chômeurs et leurs potes grévistes mal éduqués.

Ils ne savent pas que nous pouvons dire non à leur société parce que nous avons découvert autre chose. Nous les occupants de Tolbiac, nous les soignants en burn-out, nous les étudiants des grandes écoles qui ne trouvons guère de sens à des enseignements coupés du monde, nous qui soutenons les cheminots dans la grève reconductible et qui souhaitons retrouver de la lenteur dans nos voyages… Si nous occupons, bloquons, manifestons, squattons, si nous organisons des lieux pour accueillir des migrants, des cantines pour nous retrouver, si nous écrivons, filmons et partageons des savoirs, c’est que nous avons aperçu des possibilités bien plus intenses que celles qu’ils nous proposent.

Ils ne savent pas qu’ainsi nous ferons fleurir les plantes dans nos cœurs. Ils ne savent pas que c’est en riant que l’on crée vraiment un monde et un avenir. Rire, c’est affirmer la vie et les forces de la vie : la création et le devenir.

Leurs oreilles sont devenues trop longues à force d’écouter la morale. Des papas qui écoutent papa et deviennent papas… Pas étonnant qu’ils s’emmêlent les pieds.

Leur morale pragmatique. Quelle bêtise ! C’est nous les pragmatiques : nous affirmons le réel, dans sa complexité et sa splendeur. Nous savons éclater de rire. Et rire, c’est transformer même la souffrance en joie vivante.

Eux, ils sont des ânes. Des ânes qui se réclament de l’économie, des experts, des études et du monde réel. Sabot après sabot : « principe de réalité », « contrainte », « réalisme », « conciliation », « réformes nécessaires », « lutte contre l’idéalisme et les caricatures »… Ils se targuent d’être les représentants du monde positif contre les grévistes qui crient non. Avec leurs tristes sourires forcés.

Leur bouche est crispée parce que le réel qu’ils portent est une force de mort. Le réel tel qu’il est (leur « principe de réalité »), c’est une idée d’âne. Ce qu’ils éprouvent comme la positivité du réel, c’est le poids des fardeaux dont on les a chargés, dont ils se sont chargés. L’âne porte tout le réel écrasant qu’il a sur le dos jusqu’à ce qu’il finisse essoufflé sous son poids.

À ce titre, l’intervention de Jacques Toubon est significative. Quand même l’ex-créateur du RPR, issu d’une droite convaincue, s’indigne des « éléments de langage » des députés macronistes, c’est qu’on est allé très loin…

Le oui de l’âne est un faux oui. Leur « réalité » est une caricature médiocre de notre réel. Notre réel est mouvant, riche, explosif et vivant. Le leur ressemble à une coquille vide et amère. Et si lourde… Finalement, ils ne s’arrêtent pas de porter un poids mort, le squelette calcifié d’un monde qui ne convient plus. Même leurs recettes économiques néolibérales, leurs réformes « disruptives » qui « vont de l’avant » ont une odeur de carcasses, encore des fausses images de la réalité au lieu du réel lui-même. Ce sont eux les vrais nihilistes.

Nous autres rieuses et rieurs savons transformer le lourd en léger. Nous créons ainsi l’avenir1.

Jean Vioulac nous disait dans un précédent entretien qu’au lieu de réprimer ce qu’il se passait sur la ZAD, un gouvernement démocratique devrait encourager les zadistes puisqu’ils construisent un monde futur, le seul possible. Nous sommes certains qu’un tel retournement est impossible. Cela dit, si l’on veut bien être un peu sérieux, il est clair que les seuls véritables « entrepreneurs », ce sont les zadistes.

Parce que le réel, c’est nous.

Notes   [ + ]

1. Pour étoffer cette idée, nous vous conseillons d’aller relire notre article sur Stupeflip. Car la vocation du Stup est justement celle-ci : soigner notre enfance pour en faire une machine rebelle et créative.

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