Qu’est-ce qui se joue chez GM&S ? Interview avec un salarié
Créée en 1963, l’entreprise GM&S s’est lancée depuis 1985 dans la fabrication de pièces métalliques, principalement à destination des constructeurs automobiles PSA et Renault. Mais GM&S est aujourd’hui plus connue pour ses plans sociaux à répétition, ses reprises et liquidations judiciaires successives et, surtout, les mobilisations énergiques de ses salariés. Ceux-ci ont conquis une certaine célébrité quand les grands média ont commencé à rapporter leurs actions radicales au cours de l’année 2017 : bris de machines, incendies, blocages…
Il y a quelques jours, un salarié de GM&S syndiqué à la CGT, a gracieusement accepté de répondre à quelques questions sur les luttes en cours chez l’équipementier automobile depuis le début de l’année.
Grozeille : Dans un premier temps, est-ce que vous pourriez vous présenter, et nous parler en particulier de votre parcours professionnel, engagé, syndical ?
Franck Cariat : Je m’appelle Franck Cariat, je travaille chez GM&S depuis 20 ans. Mes fonctions : je m’occupe de tout ce qui est sécurité, environnement et je fais également de l’ergonomie. J’ai commencé comme opérateur quand je suis rentré dans l’entreprise. Et donc j’ai évolué petit à petit, monté des échelons, j’ai fait plusieurs formations. Je suis syndiqué depuis 2004 et je suis rentré en tant que délégué du personnel CGT il y a 6 ans. J’ai commencé parce qu’on a commencé à avoir, malheureusement, des voyous à la tête et je me suis dit « on peut pas rester comme ça, il faut réagir pendant qu’il est encore temps ». Aujourd’hui c’est la bataille la plus dure qu’on a menée, depuis 2014 contre M. Colla [le précédent repreneur de GM&S]. Il nous a emmenés tout droit vers le redressement judiciaire puis la liquidation qui a été orchestrée par le tribunal de commerce de Poitiers.
G : Qui sont les salariés de GM&S ?
F.C : GM&S c’est 277 salariés. La moyenne d’âge est plutôt élevée, environ 50 ans. La plupart des salariés n’ont malheureusement pas de diplôme. La plupart ont le certificat d’études ou un CAP mais pas plus : nous ne sommes que 3 ou 4 à avoir au-dessus de la licence dans l’entreprise. Ce qui ne facilite pas du tout le reclassement de ces salariés-là parce que, forcément, si demain ils se retrouvent parmi les 157 licenciés, ça va être quelque chose d’inconcevable pour eux de se réinsérer dans une autre entreprise, de refaire de l’informatique. Ils ne savent même pas faire un CV donc il va falloir les accompagner. Et retrouver du travail entre 50 et 55 ans sur notre territoire [la Creuse] qui est déjà sinistré au niveau de l’emploi…
G : Pourriez-vous nous faire une chronologie de la lutte depuis décembre 2016 ?
F.C : On a fait plusieurs actions depuis novembre et décembre 2016, avant la mise en redressement judiciaire. On a bloqué plusieurs fois des départementales. [De nombreuses personnalités politiques se sont déplacées : Hollande, Hamon, Cazeneuve, Macron, Le Maire]. On a aussi fait énormément de blocages1. On a été également à Paris, au niveau des showrooms de Renault et de PSA. Ça été un combat un peu musclé devant la showroom de PSA parce qu’on s’est fait un petit peu gazer. Ensuite on a traversé la place de l’Etoile avec notre député et on a envahi la place jusqu’à l’Arc de Triomphe.
G : Comment se préparent ce genre d’actions ?
F.C : On se partage le travail. Y’en a qui partent en délégation avec le ministère, avec les différents interlocuteurs de la reprise, et une deuxième délégation reste avec les salariés. On leur explique où ça en est à mesure, on se tient au courant par rapport à la réunion. Ensuite on décide avec les salariés des actions qu’on va mener. On leur fait des propositions, on leur dit « voilà aujourd’hui il y a telle action à faire, on veut de l’argent, on veut des réponses du gouvernement, on vous propose de bloquer ce site, est-ce que vous êtes d’accord, pas d’accord ? ». On fait ça de manière démocratique, on fait parfois des votes à bulletin secret pour être sûr les salariés aient confiance dans le combat qu’on mène et pour éviter de mettre la pression à qui que ce soit. Dans les faits les actions sont à chaque fois suivies par 80% des salariés et on les construit avec eux.2 Après ce n’est pas toujours aussi facile avec les gens de l’extérieur : les salariés et le syndicat du site de Cesson étaient en opposition avec notre mouvement parce qu’ils nous prenaient pour des casseurs. Sauf que nous on n’avait rien cassé et on leur a bien fait comprendre.
G : Aujourd’hui l’entreprise est en liquidation judiciaire. Qu’est-ce que ça signifie pour les salariés ?
F.C : Le tribunal a décidé que GM&S était en liquidation avec poursuite d’activité. Alors poursuite d’activité ça veut dire qu’il y a un repreneur [GMD] qui s’est positionné et que, pendant une période donnée, on peut améliorer l’offre en termes de reprise. Parce que pour l’instant ils [GMD] ne reprennent que 120 salariés, ce qui, selon nous, nous n’est pas suffisant et ne rend pas le site viable au-delà de 2 ou 3 ans. Ce qu’on veut aussi c’est une base sur la supralégale pour que les salariés licenciés qui ont plus de 30 ans d’entreprise puissent sortir la tête haute et honorablement.
G : Puisqu’on y est, l’indemnité supralégale, c’est quoi, et qui ça peut aider ?
F.C : L’indemnité supralégale vient en plus de la prime légale. Cette prime légale est définie par le code du travail : en fonction du nombre d’années travaillées, on a le droit à des indemnités. La prime supralégale c’est un plus qu’on négocie soit avec le repreneur, soit avec l’Etat, soit avec l’ancien propriétaire de façon à indemniser le préjudice subi avec le licenciement. Dans notre cas, c’est surtout en termes d’âge que ça va être compliqué. En plus c’est déjà le 3e plan social qu’on subit depuis 2009. Il faut indemniser les salariés et, aujourd’hui, si on veut retrouver une paix sociale dans l’entreprise et qu’il y ait une bonne reprise, ce sera le seul moyen d’aboutir. Parce que pour l’instant, on en a discuté avec les salariés : s’il n’y a pas d’indemnités demain, il n’y aura pas de reprise. Les salariés licenciés refuseront de quitter l’entreprise et ça risquerait de créer des tensions énormes sur le site.
G : Aujourd’hui l’entreprise GM&S n’est pas économiquement viable, pas en l’état actuel des choses en tout cas. Pourquoi selon vous ?
F.C : Alors, nous on a l’explication parce qu’on est quand même impliqués depuis 2009. En 2014, lorsqu’il a racheté GM&S, M. Colla, qui est un voyou, avait fait un accord avec les deux constructeurs de façon à ne pas nous condamner sur 2 ans. Au départ, on ne comprenait pas trop les difficultés parce qu’on avait de l’activité. Mais petit à petit on s’est aperçu que l’activité commençait à disparaître. On avait de moins en moins de commandes, et tout le monde a constaté que GM&S avait plus de dépenses que de recettes et que le site n’irait pas bien loin même avec du chômage partiel.
En grattant un petit peu on s’est aperçu qu’ils avaient doublé les outils. C’est une méthode qui se fait régulièrement aujourd’hui. Avant, quand il y avait un conflit social, les salariés pouvaient bloquer des pièces, mettre la pression au constructeur. Aujourd’hui, pour éviter ce problème, les constructeurs mettent en place deux sites de productions qu’ils mettent dans deux groupes différents. S’il y a une grève dans une des entreprises, les constructeurs font faire la production dont ils ont besoin dans l’autre entreprise de façon à ne pas être pénalisés. Ils font faire tous leurs outils en double jusqu’à ce qu’on n’ait plus du tout de commande, et forcément au bout d’un moment le site s’est retrouvé surendetté. Donc il a fallu faire un redressement judiciaire parce qu’on ne pouvait plus honorer nos dettes.
G : Vous dites que M. Colla est un liquidateur d’entreprises : quel intérêt il peut avoir à liquider justement ?
F.C : M. Colla a eu 8 entreprises, il en a emmenées 7 à la liquidation. Cet homme-là, c’est un opportuniste. Il a récupéré, quand il a repris l’entreprise, 1 million de CICE (c’est les crédits compétitivité que l’Etat donne aux entreprises) et il a récupéré 1 million d’euros que Pole Emploi lui avait donné parce que c’était une reprise de 180 salariés. Il a maintenu un peu plus d’effectifs que prévu avec le chômage partiel et il a donc reçu ce million d’euros. Ce qui veut dire que M .Colla est parti avec 2 millions d’euros, il n’a pas investi sur les 2 ans et il a laissé partir l‘entreprise en liquidation. Donc l’intérêt qu’il a, c’est tout simple, c’est l’intérêt financier.
G : Donc en fait même si les journaux nous parlent de difficultés économiques, de difficultés de la reprise, le problème viendrait aussi de l’opportunisme des patrons repreneurs, pour vous ?
F.C : Oui tout à fait. De toute façon avec le gouvernement qu’on a aujourd’hui ça facilite les choses aux entreprises. Aujourd’hui ce qui compte c’est de faire un maximum de fric avec un minimum de temps, peu importe la casse sociale derrière. On voit bien qu’on n’a quasiment plus de vrai patron comme on pouvait en avoir après la guerre. D’ailleurs, celui qui a monté la boîte de GMS, M. Godefroy, il en est malade. Il le dit clairement dans plusieurs interviews : ça ce n’est pas des patrons, c’est des financiers, ils ne pensent qu’à faire de l’argent. Ils ne s’occupent plus de développer les entreprises, ils n’investissent plus dans les entreprises pour les pérenniser et les développer puisque leur intérêt c’est justement de laisser la boîte couler pour aller en reprendre une autre.
G : Vous avez pas mal de réclamations envers l’Etat, PSA, Renault, qu’est-ce que vous pouvez attendre d’eux ?
F.C : Que l’État prenne ses responsabilités. L’argent qu’il donne aux entreprises, c’est de l’argent public. Ce que nous leur demandons, c’est de mettre en place une commission qui surveille les fonds versés aux entreprises, à quoi ils ont servi, que les patrons leur donnent un bilan complet tous les ans des investissements qui ont été faits, qu’il y ait une transparence au niveau des aides versées. Les entreprises aujourd’hui peuvent récolter l’argent, les patrons s’en foutent plein les fouilles et partent avec cet argent en laissant les salariés sur le carreau. Le CICE, à la base, c’était une très très bonne chose : c’était donner de l’argent pour développer l’entreprise, pour qu’elle soit compétitive. Parce qu’on sait parfaitement aujourd’hui que les entreprises vont s’installer dans des pays low cost, que c’est compliqué et que cet argent-là pourrait servir à rendre les entreprises compétitives. Sauf que la plupart des patrons aujourd’hui s’en servent pour se rémunérer et pour verser des dividendes. Et derrière ils n’ont même pas de comptes à rendre à l’Etat, ce qui est complètement inacceptable. Alors l’Etat est un petit peu fautif aussi : pour ce qui est de Renault et PSA, l’Etat est quand même actionnaire, même si ce n’est qu’à 15%. Il donne de l’argent et derrière quand Renault et PSA font un bilan économique en disant qu’ils ont gagné des marges phénoménales…
G : On a surtout entendu parler de vous quand il y a eu les gros coups de théâtre médiatiques, au moment où vous avez mis le feu à des pneus, des machines… Mais qu’est-ce qui se passe le reste du temps, quand on n’entend pas parler de vous… Est-ce qu’il y a une routine de la grève, du chômage technique ? Vous travaillez encore ?
F.C : Au départ on a été très très peu médiatisés, c’étaient les journaux locaux qui s’intéressaient à nous. C’est tombé dans la très mauvaise période puisque que forcément il y avait les élections présidentielles et législatives, donc les médias étaient très occupés avec les candidats..Donc au départ les grands média sont pas venus, puis ils sont un peu plus venus quand on a fait des actions un peu plus fortes parce qu’on a dit « Là maintenant on n’a plus rien à perdre, on va monter au créneau quitte à faire brûler quelques machines ». Certains média comme le Monde ou la Tribune étaient un peu agressifs. On leur a dit « De toute façon, ce qui vous intéresse c’est quand il y a du sang et il y a des morts, y’a que ça qui vous intéresse nous ce n’est pas ce qu’on veut communiquer ».
Nous on a toujours revendiqué ne pas être des casseurs, ne pas être des voyous, juste des salariés qui défendent leur entreprise, qui défendent leur emploi. On veut aussi expliquer qu’on n’est pas contre les patrons mais qu’on a subi pendant plus d’une dizaine d’années les actions du patronat voyou. Ce sont eux qui nous ont amenés dans cette situation, qui ont voulu nous flinguer alors qu’on n’a pas grand-chose à nous reprocher en termes de comportement : on est des gens responsables, on a l’a montré à plusieurs reprises, on a discuté avec tous les acteurs politiques. On n’a jamais eu de heurts particuliers avec la gendarmerie, les gendarmes comprennent un petit peu nos actions et le fond du problème.3
Pour ce qui est de l’activité de l’entreprise, on en avait un peu mais là ça fait plus d’un mois et demi que plus aucun salarié ne travaille. Parce que bon, il n’y a plus de motivation à travailler dans l’immédiat, ils ne savent pas ce qu’ils vont devenir, s’ils vont être licenciés ou pas. Donc actuellement on n’a plus de matière qui rentre. Les salariés restent la journée sur le site, on discute ensemble, on essaye de prévoir d’autres actions pour faire bouger les choses. Et puis certains salariés qui viennent plus du tout sur le site malheureusement.
G : Donc contrairement à ce qu’on entend dire dans les média, les incendies, bris de machines et autres, ça n’est pas « violent » pour vous ? Vous considérez que c’est simplement un minimum pour se faire entendre ?
F.C : On n’a jamais été dans la violence. Si on avait été dans la violence, on aurait mis le feu à l’usine et c’était cassé. Ce qu’on a voulu faire, c’est passer un message, leur dire qu’on est capables si on n’a plus rien à perdre de brûler l’usine. On ne veut surtout pas c’est qu’il y ait des vautours qui viennent se servir sur notre entreprise, quand la bête est morte qu’on vienne se servir dessus.
Nous on a pris nos outils de travail, on a défendu cette entreprise du mieux qu’on a pu. On a été dialogué avec l’Etat, on a fait avancer les choses, à chaque fois c’était un rapport de force qui était compliqué et long. On a montré qu’on pouvait être constructifs : chaque fois que Renault et PSA ont demandé des pièces en urgence, on s’est remis au travail pour leur livrer les pièces. Nous on a joué le jeu tout le temps, à chaque fois, pour leur montrer qu’on était attachés au travail. Et eux derrière, ils ne jouaient pas le jeu, ils ne nous donnaient pas la matière pour travailler en temps et en heure, ils ne nous livraient pas les pièces.
Ce qu’on veut c’est faire des choses qui vont faire avancer le dossier. Notre but, c’est de pérenniser le site et ce n’est pas la première fois qu’on le dénonce cette situation. Depuis plus de 10 ans, on dit qu’il faut investir sur le site pour le développer avec des nouveaux moyens. On est en Creuse donc on peut faire plein de choses avec l’environnement, on peut mettre des panneaux solaires pour alimenter l’entreprise par exemple. On a fait des propositions et on ne nous a jamais écoutés, jamais vraiment pris au sérieux parce que forcément les syndicalistes ils sont forcément là pour gueuler.
Alors que ce n’est absolument pas le cas : la plupart des journalistes et des journaux ou des médias qui ont critiqué notre action, c’est souvent des média qu’on n’a pas vu sur le site. Ils ont des pris des articles à distance et ils ont fait leur propre opinion et leur blabla. La plupart des chaînes qui sont venues sur le site et qui nous ont suivis dans nos actions ont aujourd’hui un regard différent sur notre situation. Ils ont vu qu’au contraire on construit, qu’on est des gens civilisés, on n’est pas des Creusois dangereux mais qu’on ne se laisse pas faire pour autant.
Ce qu’on souhaite surtout c’est que les salariés construisent leur avenir et y participent. On en a ras le bol que ce soit seulement L’État et les constructeurs qui décident de l’avenir de l’entreprise du jour au lendemain. Et vu ce qu’on nous propose pour demain avec la loi El Khomri 2, des salariés de petites entreprises en viennent à dire « vous êtes l’exemple de la lutte de demain pour les entreprises en France ». On sait aussi qu’on a énormément de soutiens de partout, même des dons de soutien pour payer les cars, pour faire des actions.
G : Il y a d’autres entreprises qui ont du mal dans la Creuse. Est-ce que vous coordonnez des actions avec d’autres entreprises ? Je pense par exemple à Metalis, un autre fabricant de pièces automobiles.
F.C : Oui. Oui alors Metalis c’est une petite entreprise qui était juste à côté de chez nous. Donc ils étaient six et eux ils sont liquidés au 13 [juillet] : y’a plus d’entreprise, y’a plus rien. Donc ils sont venus nous voir, on les avait invités à manger avec nous en leur disant qu’il fallait qu’ils se défendent. Alors bien sûr comme ils n’avaient pas de syndicat, pour eux c’était plus compliqué. Et comme c’est une petite entreprise, forcément on se défend beaucoup moins bien. Donc nous on les a aidés comme on a pu pour qu’ils puissent avoir les renseignements nécessaires afin de retrouver du travail et de se défendre. On a aussi fait des actions avec la gare de la Souterraine. Ils veulent supprimer 6 postes donc on a fait des blocages directement sur des voies avec des salariés et la population, pour leur montrer qu’on est ensemble et qu’on est forts. Mais aussi que la lutte était commune puisque demain, si on laisse faire, la Souterraine y’aura plus rien, en Creuse y’aura plus rien.
G : Donc vous coordonnez des actions, vous essayez d’aider tout le monde pour l’avenir de la Creuse aussi ?
F.C : Oui c’est aussi un intérêt commun. On a pris conscience que si GMS fermait, Les Leclerc, les écoles, tout risque d’y passer. Ça aura une répercussion négative sur la Creuse de demain. C’est déjà un des départements les plus faibles de France alors si on reste à 120 ou si l’usine ferme, forcément y’aura un impact beaucoup plus important. Et d’ailleurs il y aussi une grosse entreprise qui est venue nous aider, c’est la Seita à Clermont-Ferrand. Ils sont venus une journée en car directement, une cinquantaine de salariés. Ça nous a fait plaisir. Et aussi la journée nationale qu’on a faite à la Souterraine, il y avait pratiquement 3000 personnes de toute la France à la Souterraine, c’est du jamais vu, même le maire l’a dit.4
G : Comment vous envisagez l’avenir de votre lutte ?
F.C : Dès la semaine prochaine on a prévu un autre mouvement fort, peut-être le dernier. Mais bon pour l’instant sur la supralégale, on n’a pas d’avancée significative, et on a bien fait comprendre à M. Le Maire et d’autres, notamment les constructeurs, qu’on l’aurait quoi qu’il arrive. Moi j’ai vu mon directeur, je lui ai dit directement « moi je peux être licencié demain, comme les autres salariés, si je n’ai pas quelque chose, une chose est sûre c’est que je serai attaché à la grille de l’entrée du site et tous les jours vous allez venir me chasser, et tous les jours je reviendrai à nouveau jusqu’à ce que j’obtienne quelque chose ». Ça fait plus de 20 ans que je suis dans cette entreprise, on a subi des dommages, psychologiques pour certains. Aujourd’hui on peut virer les salariés comme ça, sans rien leur donner.
On va jouer à la fois sur les deux tableaux : la supralégale et nombre de postes pour la reprise. M. Martineau [le nouveau repreneur, patron de GMD] donc qui est venu à la réunion de mardi [4juillet] il a fait son marché, il a récupéré quelques garanties supplémentaires en sa faveur avec le constructeur mais y’a pas de contrepartie. Et demain quelle perspective sur le site ? Si c’est pour garder le site à flots pendant 3 ans et finir de leur faire couler… Le site qu’il nous propose, c’est un site de production, c’est-à-dire qu’il n’y aura plus de service support (dont je fais partie). Un site de production brute, c’est un site qui est condamné à disparaître dans les plus brefs délais. Surtout qu’à 70 ans, quelle est sa perspective ? Si ça se trouve dans un an il va dire « Moi j’arrête, je suis trop vieux ». Donc y’a des interrogations, nous ce qu’on veut c’est des garanties pour ceux qui vont rester et une rémunération compensatrice pour ceux qui vont partir.
G : Et cet été, tant que vous n’avez pas ce que vous voulez, la lutte continue ?
F.C : L’Etat s’est engagé à maintenir les salaires jusqu’au mois de fin aout. Nous on va avoir les congés payés, M. Martineau veut reprendre au mois de septembre. Derrière c’est compliqué de remettre les salariés au travail puisque personne ne sait qui va être licencié et surtout à quel moment. On avait notre petite idée, c’est que ça tomberait au mois d’aout, dans les 15 premiers jours d’août. Sauf qu’on ne voulait surtout pas que les salariés soient licenciés pendant qu’ils sont en congé. Mettons, ça fait déjà 7 mois qu’on se bat, tout le monde est un peu fatigué, tout le monde en a un peu marre de cette situation. Les salariés vont se trouver avec leur famille pour partir quelques jours se reposer, et à ce moment-là ils recevraient les lettres de licenciement, ce serait complètement intolérable.
Si on s’était pas battu depuis 6 mois, on aurait été liquidés depuis décembre, l’entreprise était finie quoi. Ça veut dire qu’il y a toujours des possibilités. Alors il y en a qui nous ont dit « Vous êtes fous, vous êtes 150 dans la Creuse, au milieu de nulle part, dans une petite entreprise et vous vous attaquez aux grands constructeurs comme PSA et Renault ». Et aujourd’hui on voit qu’on a réussi à faire des choses et justement c’est l’exemple qu’on veut montrer à l’industrie automobile ou autre : qu’il faut toujours y croire et toujours se battre. Il faut se battre et avoir la tête haute quoi qu’il arrive, même si c’est un constructeur ou un géant de l’industrie5.
G : L’interview touche à sa fin. Si vous avez quelque chose à ajouter, n’hésitez pas…
F.C : Que le rapport de force, malheureusement, c’est aujourd’hui la seule chose qui peut marquer les esprits et faire bouger les lignes. Étant donné que le gouvernement, les constructeurs et les entreprises puissantes en CAC40 aujourd’hui ont tous les pouvoirs, ce que les salariés peuvent espérer pour pouvoir lutter, c’est justement le rapport de force. C’est se réunir, c’est se mobiliser, c’est lutter ensemble et montrer que unis on peut faire bouger les choses. Et c’est ce qu’on veut démontrer également contre la loi El Khomri 2 du 12 septembre : que tout le monde se réunisse pour faire bouger cette loi qui malheureusement serait catastrophique en termes d’emplois. Je ne pense pas que le chômage va baisser en faisant des lois comme ça.
Nous tenons à remercier une fois encore Franck Cariat pour sa très aimable participation.
Notes
1. | ↑ | Complément à cette déjà très longue interview : « On a bloqué le site Renault à Villeroy en février mais aussi le site PSA de Sept-Fons l’Allier le temps d’une journée. On a bloqué le site de PSA au Mans, on a bloqué Poissy à plusieurs reprises. » |
2. | ↑ | Complément : « Dans les AG, il y en a qui sont pas spécialement d’accord. Donc nous on laisse les salariés tous parler, on les laisse s’exprimer de façon à nous dire un peu comment ils voient les choses et ça ouvre le débat pendant une heure ou deux. Après on essaye de trouver une solution tous ensemble et on la fait valider par tous les salariés. A chaque fois qu’on fait des actions, on est entre 150 et 200 salariés, ce qui n’est déjà pas mal. » |
3. | ↑ | Complément : « C’est de la com’ PSA et Renault, c’est beaucoup de com. Ils payent des gens pour faire des études pour faire de la bonne communication. Nous on voulait leur montrer qu’il faut arrêter de taper sur le syndicat en disant « C’est horrible : vous cassez tout, vous faites des actions dangereuses, vous brisez l’industrie ». Alors que ce n’est pas ça du tout, au contraire on leur montre qu’on est des gens responsables, qu’on peut dialoguer avec l’Etat, qu’on peut dialoguer avec le constructeur, qu’on peut dialoguer avec tout le monde. » |
4. | ↑ | Complément : « On travaille aussi pas mal avec l’UL et l’UD de Creuse [Unions locales et départementales, des organismes de la CGT]. On sait que les élus locaux, y’en a beaucoup qui suivent nos actions, notamment l’adjoint au maire de la Souterraine. Il y avait aussi Michel Vergnier, l’ancien député de Creuse, qui nous a beaucoup soutenus dans nos mouvements. On sait qu’il y a des gens politiquement engagés qui sont derrière nous, qui comprennent pourquoi on a fait ça et on n’a pas essuyé vraiment beaucoup de critiques. » |
5. | ↑ | Complément : « Quelque part c’est aussi montrer que les salariés, on ne peut pas les laisser sans rien faire. Si on les laisse rien faire, c’est qu’on baisse les bras et quand on fait des actions fortes comme ça, les salariés ça les remonte et ça leur donne du baume au cœur en disant » voilà on se bat et on veut des résultats » ». |