Situation

« Nous dénonçons l’inaction climatique de l’État au Mali »

La couverture médiatique des luttes écologiques donne l’impression que l’essentiel se passe dans les pays occidentaux. Pourtant, tout le monde sait bien que ces pays, s’ils sont parmi les plus responsables du désastre en cours, sont aussi les moins touchés par les effets des changements écologiques.

Au Mali, le collectif Ensemble pour le Climat Bamako mobilise les jeunes autour des enjeux écologiques. Leur prise de contact avec les jeunes de Désobéissance Ecolo Paris a suscité l’entretien suivant, qui informe de la réalité des luttes locales, où l’écologie se complique notamment d’enjeux anti-colonialistes.

Désobéissance Ecolo Paris : Pouvez-vous vous présenter ?

Pour commencer je souhaiterais présenter brièvement notre mouvement écologique. Il s’agit de jeunes qui ont pris conscience de l’enjeu climatique et environnemental et qui souhaitent dénoncer l’inaction de l’État au Mali. Je dirais que nous commençons à nous faire connaître ici au Mali, en Afrique et même dans le monde. Nous travaillons avec de plus en plus de personnes et de groupes et je trouve cela très bien, car ensemble on peut échanger, apprendre les uns des autres et unir nos forces pour avancer. Mais malgré tout, nous n’avons pas de partenaires financiers, pas de bureau, ni de siège (le siège c’est dans notre famille et le bureau c’est dans ma chambre).

Comment vous mobilisez-vous au Mali ? Quels modes d’action et de sensibilisation mettez-vous en œuvre, et que demandez-vous ?

Ici au Mali notre mobilisation se fait par le biais d’actions multiples et nombreuses : des journées de salubrité avec curage des caniveaux, ramassage des déchets plastiques (qui deviennent un vrai fléau), ainsi que des semaines de reboisement. Pour ce qui est de la sensibilisation, nous avons monté une caravane de communication, afin d’informer, orienter et éduquer nos populations, afin qu’elles prennent conscience des enjeux climatiques et environnementaux.

Bien des alternatives sont possibles. Nous demandons l’interdiction des sachets et autres emballages plastiques, l’interdiction des pesticides, le reboisement de nos terres, le développement des énergies renouvelables. Tout ça signifierait plus d’emplois pour les jeunes.

Quelles sont pour vous les causes du réchauffement climatique ? Comment en ressentez-vous les effets au Mali ?

Les causes du changement climatique sont multiples et nombreuses mais tout se résume aux activités humaines. Nous en ressentons bien sûr les effets au Mali, je dirais que nous sommes les plus exposés. Les saisons sont devenues très instables, les piliers de notre économie sont touchés et en chute, à savoir l’agriculture, l’élevage et la pêche.

Les causes du changement climatique sont multiples, mais aujourd’hui nous savons qu’elles sont principalement liées à l’activité humaine, notamment à l’utilisation abusive des énergies fossiles, l’agriculture et l’élevage intensifs, les industries…

Bien que nous produisions beaucoup moins de pollutions que beaucoup de pays dans le monde, nous subissons énormément les effets du changement climatique au Mali. Nous sommes beaucoup plus vulnérables car nos moyens de lutte sont limités. Nous avons par exemple une économie agro-pastorale fortement dépendante de la pluviométrie et à cause du changement climatique nos hivernages deviennent de plus en plus instables. Cela provoque la sécheresse avec des productions céréalières insuffisantes, la mort des cheptels et bien sûr par la suite des périodes de famines très graves.

Il faut souligner que tout est lié et que indirectement l’Occident subit aussi la conséquence de cette misère, car quand il n’y a plus d’activité économique et que tout le monde a faim chez nous, il ne nous reste que l’immigration en masse vers vos pays…

La colonisation de l’Afrique a utilisé des outils écologiques : par exemple les réserves naturelles, les parcs naturels. Cela a servi à exclure des populations nomades, ou des sociétés traditionnelles. Est-ce que l’écologie sert toujours les intérêts de la population ? Est-ce que parfois elle n’est pas utilisée contre ces populations, dans l’intérêt des colons ou des riches ?

Le concept même de réserve naturelle est un concept colonial : il s’agit de protéger par sursaut de conscience ce que l’on s’apprête à détruire ! Est-ce que les Américains sont humanistes parce qu’ils ont créé des réserves pour les premières nations ? Disons plutôt que c’est mieux que rien… mais nous préférerions vivre en harmonie avec les animaux comme avant l’arrivée des colons…

En France, un certain ethnocentrisme fait qu’on a très peu parlé des luttes de la jeunesse au Sahel. Pourtant, c’est dans cette région que les impacts sur le climat et la biodiversité sont les plus importants. Pensez-vous qu’il y a un manque de solidarité de l’écologie occidentale envers vos luttes et vos combats ?

Voici la plus importante des questions. Je ne dirais pas manque de solidarité. Plutôt de la discrimination et du mépris. L’Afrique n’est pas du tout considérée dans les luttes, et ce manque de considération est pire encore dans les milieux écologiques. Par exemple, les incendies en Amazonie se sont imposés comme sujet d’actualité dans tous les médias occidentaux, et des personnes qui prétendent défendre l’écologie ont fait des posts et commentaires partout sur les réseaux sociaux. Et au même moment, l’Afrique brûle, personne n’en parle.

Les Occidentaux prétendent être soucieux de l’écologie. Vous accusez vos États pour inaction climatique alors que vous-mêmes vous n’êtes pas clairs. L’écologie ne supporte ni différence ni discrimination, elle est l’attention portée à notre planète pour le bien de tous aujourd’hui et demain. Pourquoi ne pas parler de l’Afrique ? Les incendies en Afrique sont plus nombreux que ceux d’Amérique du Sud selon la NASA. Les incendies en Afrique sont 70% de la superficie qui brûle dans le monde mais cela ne vous préoccupe pas.

Personnellement j’ai demandé plusieurs fois d’aller assister ou de participer à des conférences, séminaires, formations, etc. en expliquant que notre situation financière ne nous permet pas de partir. J’ai demandé s’il était possible de recevoir des aides. Je n’ai pas eu de réponse. Souvent ils me disent non, mais il y a des jeunes occidentaux qui font le tour du monde et leur voyage est pris en charge et financé par des associations et ONG qui prétendent défendre l’écologie ou le climat. Où est la justice ? Nos luttes et combats ne sont jamais privilégiés, et l’Occident toujours bénéficie d’une couverture médiatique.

Le Soudan et l’Algérie sont depuis quelques temps secoués par des mouvements révolutionnaires, quel est votre rapport à ces mouvements ?

Je n’ai pas de lien direct avec les mouvements du Soudan et d’Algérie, mais je trouve que c’est une bonne chose de chasser les anciens. Il est temps qu’ils partent, je suis de tout cœur avec eux.

Ces dernières années le Mali a connu une histoire mouvementée. Quelle est la situation aujourd’hui ? Quelles sont les conflits en cours au Mali ?

Depuis 2012, notre pays le Mali est en crise. Malheureusement, cela continue. Jusqu’à présent, nous luttons tous au Mali pour retrouver la paix et tout le monde est impliqué dans ce projet, car notre diversité fait notre force. Nous avons été où beaucoup n’ont jamais été. Nous sommes bâtisseurs de grands empires. Notre bravoure et notre honnêteté font de nous le grand Mali qui a toujours privilégié la voix du dialogue.  Il n’y a pas de fracture entre nous au Mali en matière de conflits. Malheureusement ces conflits nous ont été imposés par l’Occident, comme pour la déstabilisation de la Libye.

Rêvez-vous d’un grand mouvement pan-sahelien ou panafricain ? Et pourquoi ?

Oui j’en rêve et c’est mon ambition aussi : un nouveau grand mouvement panafricain. Nous sommes les héritiers de Modibo Keïta, Kouamè Kourouma, Thomas Sankara, Haïlé Sélassié et Nelson Mandela. Ces grands hommes nous ont montré le chemin, et c’est à nous, la nouvelle génération, de prendre le relais. Je me souviens d’avoir échangé avec Seydou Badian Kouyaté, l’un des pères fondateurs et grand militant pour l’indépendance de la République du Mali, qui m’a dit : « Mon fils nous avons pris l’indépendance dans la douleur à l’époque coloniale. Mon fils, allez, étudiez et travaillez pour le Mali et pour l’Afrique ». Et un autre disait : « un peuple qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort, seule la lutte libère » [ndlr : il s’agit de Thomas Sankara].

Pour lutter contre le réchauffement climatique, vous semble-t-il que l’on peut faire confiance aux Etats et aux gouvernements ?

Si nous en sommes là aujourd’hui c’est grâce à nos États : je parle de la dégradation de l’environnement et du climat. On ne peut pas leur faire confiance puisque la volonté n’y est pas. Par exemple, chez moi au Mali, l’État malien avait conçu un projet de loi concernant l’importation, la commercialisation, l’utilisation et la circulation des sachets, et d’autres emballages plastiques. Et depuis 2012 cette loi n’a jamais été appliquée, et c’est pareil dans beaucoup de pays, on ne peut pas leur faire confiance.  Nous devrons leur mettre plus de pression.

En France, les mouvements jeunes pour le climat pratiquent le nettoyage de déchets, le boycott et la sensibilisation. Néanmoins, ils commencent à penser que cela ne suffit pas pour arrêter le réchauffement climatique, et ils se demandent maintenant comment viser l’économie capitaliste. De plus en plus, des modes d’action comme le blocage d’un chantier, l’occupation d’une banque, ou le sabotage de machines deviennent acceptables. La ZAD de Notre-Dame-des-Landes constitue pour eux un exemple emblématique. Pensez-vous également que de tels modes d’action sont pertinents ?

Nous nous inspirons beaucoup des actions de mobilisation pour le climat menées dans les pays occidentaux. Là-bas les mouvements sont si bien organisés et si forts qu’ils arrivent à se faire entendre à travers des partis politiques comme  « les Verts » ou même des équipes de sport : cela est tout simplement formidable ! Je pense que le système capitaliste est à la base de la surconsommation et de la surproduction, et ces activités humaines génèrent beaucoup de déchets et de pollutions qui accélèrent le réchauffement climatique. Il est donc tout fait sensé de s’attaquer aux symboles du capitalisme pour avancer dans la lutte.

Mais en même temps chaque pays, chaque système a ses réalités, il revient donc à chacun des mouvements de trouver la bonne méthode et d’adapter les grands principes de la lutte en faveur du climat à son contexte de vie et à ses moyens. La terre nous appartient à nous, les peuples, donc nous n’allons pas rester les bras croisés à voir ces lobbies détruire notre belle planète.

Pensez-vous que les pays occidentaux ont une « dette écologique » envers les pays colonisés ? Car ils les ont exploités, détruits, pollués, et ils continuent de le faire aujourd’hui. Pensez-vous qu’il faut des réparations ?

Bien sûr qu’il faut des réparations. L’Afrique n’a aucune dette envers l’Occident, c’est même l’inverse. Mais cela ne passera que par une prise de conscience générale : la décroissance pourrait inverser la machine infernale. Pour cela, il faut plus que des réparations des gouvernements, il faut des gouvernements engagés dans un processus de décroissance, élus par des citoyens eux eux-mêmes volontaires dans ce processus… c’est encore un rêve mais il y a des signes forts de la jeunesse dans le monde.

Quel message souhaitez-vous faire passer aux jeunesses de France et d’ailleurs ?

Je lance un message à la jeunesse du monde sans distinction de race, de couleur et de religion. L’alarme climatique a sonné et le compte à rebours a commencé. Nous sommes tous responsables et concernés face aux conséquences et dangers du réchauffement climatique. Battons-nous pour notre avenir, ne laissons pas les adultes hypothéquer notre avenir. Je profite de votre audience pour dire aux chefs d’États qui ont signé l’accord de Paris de penser aux enfants, aux leurs et à ceux des autres, autrement l’histoire les jugera. Merci de m’avoir donne cette opportunité de m’exprimer. Au-revoir.

Cagnotte Leetchi d’Ensemble pour le Climat Bamako : https://www.leetchi.com/c/ensemble-pour-le-climat-bamako

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