EuropaCity : un tas de fumier vaut mieux qu’un projet de merde
crédit photo : Yann Guillotin, Collectif pour le Triangle de Gonesse, collectif-cptg.org
Les atermoiements autour de l’accord de Paris sur le climat ont récemment fait grand bruit ; et si nous commencions par regarder chez nous, dans un bout d’agglomération francilienne… ?
EuropaCity. La bête a été intronisée non moins que « nouveau quartier des loisirs du Grand Paris », promesse du ravitaillement et du divertissement des foules métropolitaines. Plus prosaïquement, il s’agit de bétonner les quelques terres agricoles subsistant dans le « triangle de Gonesse », un territoire à la limite du Val d’Oise et de la Seine-Saint-Denis, sauvé jusqu’ici de l’urbanisation par son environnement ingrat : coincé entre deux autoroutes, deux nationales et surtout deux aéroports, il n’est pas habitable.
Mais y construire est quand même dans les cartons depuis un certain temps (paraît-il 25 ans), et le projet a pris depuis quelques années une tournure beaucoup affirmée et une forme tangible, avec un « projet d’aménagement » impliquant de bétonner 280 hectares (la superficie du Xe arrondissement de Paris pour avoir un ordre de grandeur), dont 80 hectares consacrés à une opération ébouriffante : sur le modèle des megamalls américains, que l’on vient « visiter » depuis l’autre bout du pays, sortirait de terre une « ville » de commerces, restaurants, hôtels, cinémas, salles de spectacle, avec « parc d’aventures » et « parc aquatique », sa plage de sable fin et son lagon artificiel. Il ne manquera que le « parc des neiges », qui a finalement été abandonné – installer une piste de ski réfrigérée à deux kilomètres du Bourget, où ont été signés les accords de la Cop21, était d’une ironie un peu trop pénible.
Le « Grand Paris », cette pétaudière qui avait commencé avec la proposition, avancée très sérieusement par une star de l’architecture en mal d’inspiration, d’urbaniser les bords de Seine jusqu’au Havre (!), confirme ainsi son incapacité à sortir d’une vision obsolète de l’aménagement du territoire : goinfrerie irréfléchie de terres arables précieuses, pour des projets d’expansion aussi douteux que celui du plateau de Saclay.
Si on cherchait un type pur de Grand Projet Inutile (GPI)1, on l’a d’ailleurs probablement trouvé avec EuropaCity. Un aéroport ou un barrage, pour prendre des exemples désormais célèbres, ont au moins minimalement l’air d’intérêt public ; mais cet espèce d’hybride de parc de loisirs et de centre commercial géant dans un territoire déjà complètement saturé en la matière2, sur les terres les plus fertiles d’Europe, dans une région qui en manque cruellement ; c’est pousser l’aberration un peu trop loin, rendre un peu trop flagrante l’absurdité collective des GPI, qui consiste à se ranger derrière une coalition d’intérêts court-termistes au nom d’un modèle de développement à bout de souffle, nourri de la prédation des ressources naturelles.
On peut produire toutes les discussions idéologiques possibles, il reste ce fait brutal, que la réalité d’un pareil projet est inscrite à même le sol, et ce de matière irrévocable. Même la menace d’un accident nucléaire, tout aussi peu rhétorique et tout aussi concrète en ce qu’elle pèse en permanence sur les corps, peut être battue en brèche si l’on ferme les centrales (quoiqu’il faudra encore se coltiner les déchets). Mais on ne peut pas désartificialiser des sols comme on sort du nucléaire. Une terre construite est stérilisée d’une manière qu’on peut considérer comme irréversible à l’échelle de la temporalité humaine ; par exemple, la fertilité exceptionnelle des sols briards ou beaucerons ne tient qu’à une couche de limons et de marnes d’un mètre d’épaisseur déposée il y a plusieurs dizaines de millions d’années, lorsque la région était lacustre et marécageuse.
À Gonesse, en Plaine de France, cette terre argilo-calcaire est tellement fertile qu’il n’est pas nécessaire d’arroser le blé. Une richesse fragile, aussi longue à constituer qu’elle est facile à dilapider. Comme les hydrocarbures, ou encore les minerais rares qui remplissent aujourd’hui nos téléphones, la terre est une de ces ressources naturelles dont la finitude met un sérieux point d’interrogation au fantasme capitaliste d’expansion infinie. Ce n’est pas un hasard si le pays où cette chimère a trouvé son acmé, les États-Unis, a commencé son récit par le mythe d’une terre disponible de manière illimitée.
La démesure d’EuropaCity rend le projet emblématique du phénomène accéléré d’artificialisation des sols, dont on dira qu’elle est une des nombreuses facettes du drame écologique de l’anthropocène. On ne va pas revenir sur ses conséquences graves sur les écosystèmes et la biodiversité, d’autant que cela ne concerne pas prioritairement cet îlot de cultures céréalières qu’est le triangle de Gonesse : on ne parle pas de la forêt amazonienne, pas même du bocage nantais, mais de champs de céréaliculture intensive. Il n’en demeure pas moins qu’il faut les sauver du béton. Répétons-le : un tas de fumier vaut mieux qu’un projet de merde, car le fumier est fécond, tandis que la merde est de béton mortifère.
Personne n’accepterait d’Europa City dans les bois de Boulogne ou de Vincennes, qui seraient pourtant des emplacements de choix s’il s’agissait de créer le plus d’emplois possibles : il y a de la place et une immense masse de consommateurs à proximité immédiate. Mais, tout éloignés que nous sommes des conditions réelles de production de notre alimentation, nous sommes prêts à l’accepter pour un bout de territoire périphérique comme le triangle de Gonesse, tout simplement parce que nous ignorons la valeur des terres agricoles. Or ces dernières sont aujourd’hui en France une denrée bien plus rare qu’on ne le croit, et le manque est unanimement reconnu du côté des agriculteurs, dont beaucoup ont du mal à s’installer à cause des tensions sur les surfaces et les prix engendrés par les appétits immobiliers et la spéculation foncière.
C’est somme toute une histoire tout à fait logique, mais devenue paradoxale par effet de sentier : la métropole parisienne s’est développée précisément là où les terres étaient le plus fertiles. Les potentialités de développement qu’elles offraient se sont retournées contre elles, et elles ont été progressivement englouties par cette ville qu’elles nourrissent. La préservation des terres arables en périphérie métropolitaine est cruciale si l’on veut à terme garantir l’autonomie alimentaire de l’agglomération parisienne3 et rapprocher la production de la consommation.
Elle est aussi climatiquement cruciale : les sols non-revêtus régulent les précipitations et épurent les pollutions diverses, tandis que leur imperméabilisation favorise l’érosion ou encore la formation d’îlots de chaleur. Les canicules à venir risquent d’être pesantes quand les touristes descendront de leur avion à Roissy – mais n’iront-ils pas, en toute logique, se rafraîchir à l’air climatisé d’EuropaCity ?
La France est concernée au plus haut point par l’artificialisation des sols. Au rythme actuel (entre 50000 et 80000 ha/an), c’est la superficie d’un département (!) qui y est bétonnée tous les dix ans. Si la tendance se prolonge, ce que personne ne peut espérer, notre pays est voué à devenir un patchwork géant de « zones » (commerciales plus qu’industrielles, vu la tendance). Le « zonage » fonctionnel comme politique d’aménagement du territoire (les fameuses ZUP et autres ZAC), d’abord technocratique-étatique, puis complètement débridée au niveau local par la décentralisation, est en effet un déterminant politique important de la vigueur de l’artificialisation en France.
Il y en a d’autres : le soutien historique des pouvoirs publics à la grande distribution, d’abord pour lutter contre l’inflation sous Pompidou, puis encouragée par les élus locaux (souvent intéressés)4, qui ont fait de la France la championne d’Europe des hypermarchés, et corrélativement un pays de petit commerce sinistré ; la politique du tout-automobile, jamais vraiment remise en cause en dehors des centres des grandes villes (il n’est plus la peine de compter les lignes secondaires fermées au profit du seul TGV) ; la valorisation idéologique et intéressée de la propriété immobilière individuelle, qui a conduit à l’étalement périurbain.
Tout cela fait système. C’est un mode d’organisation sociale du territoire, qui procède d’un mode de développement et sous-tend un mode de vie : la pursuit of happiness de zone en zone, de sa zone d’habitation, où l’on reconstitue sa force de travail, à la zone d’activité, où on la vend, de manière à pouvoir ensuite aller la dépenser à la zone commerciale.
Et ce n’est pas seulement un drame écologique ou esthétique (la disparition même de la « campagne » et la défiguration des entrées de ville), préoccupations de « bobos » urbains, diront de concert le promoteur et le maire, c’est aussi une régression sociale : la civilisation automobile porte en elle le repli sur la sphère privée, la destruction du lien social qui était au passage une des vertus de ce petit commerce qu’on a laissé mourir au nom de sa moindre efficacité économique. Il n’y a plus de sociabilités de quartier possibles puisqu’il n’y a plus de quartiers, mais des lotissements morts dans lesquels chacun se range derrière la haie de son carré de jardin, derrière l’habitacle de son automobile qui donne l’illusion de la sécurité, de la tranquillité, d’être protégé d’un monde extérieur hostile précisément parce qu’il est fait pour l’automobile et ne se parcourt sans automobile, le tout pour évoluer en vase clos d’un logement isolé à un lieu de travail isolé puis à un lieu de consommation isolé : autisme généralisé.
Ensemble intégré, et logé à la lisière d’une métropole, EuropaCity est un peu plus subtil. « EuropaCity ambitionne (sic) d’être un quartier avec la même fluidité d’usage que le monde digital », peut-on lire sur le site de la « concertation », très orwelliennement intitulé « construisons-europacity.com » (de même qu’aux élections vous faites ce que vous voulez, mais en votant Macron)5.
Passons sur le séraphique « monde digital » ici invoqué, cette nouvelle lubie du discours dominant dont un autre article publié sur Grozeille expose le caractère imaginaire ; c’est la qualification usurpée de « quartier » qui est admirable à propos d’un lieu qui n’a pas vocation à être habité, et qui est peut-être même l’espace inhabitable par excellence. L’invraisemblable gigantisme d’EuropaCity est d’ailleurs retourné en prétention à être une ville ; plus précisément : une « Living City » (marque déposée).
Le besoin d’un tel pléonasme trahit bien la facticité de la chose. Comme s’il pouvait jamais y avoir quelque chose qui ressemble à de la vie dans cette citadelle marchande, hors-sol dans tous les sens possibles, vouée à n’être jamais que traversée par un flux de consommateurs atomistiques6. EuropaCity se veut « fluide », polyvalent, connecté, hub. Par-delà la réminiscence de la vulgate postmoderne sur les « sociétés liquides », il s’agit toujours de reproduire l’illusion de la ville comme espace non-cloisonné et du quartier comme inverse de la zone.
Pas de tout-voiture : le « quartier du Grand Paris » se doit d’être inclus dans la métropole et relié à son réseau de transports, avec même une gare dédiée dans le futur métro express. Tout le monde y trouve son compte. Les élus locaux peuvent-ils faire autre chose que de bénir cette manne publique qui tombe enfin (très opportunément), et ce quand bien même cet argent serait sans doute utilisé un peu plus judicieusement à consolider les lignes existantes déjà saturées, plutôt qu’à en construire de nouvelles qui créent leur propre demande ? Quant aux investisseurs privés, que peuvent-ils demander de plus ? Ça a l’air vert, ça amène des clients, et c’est payé par l’argent public…
Dans ce genre d’entreprise qui ne se fait pas sans les pouvoirs publics7, ces investisseurs privés ont en effet toujours un grand talent pour arriver à faire passer leurs propres intérêts pour ceux du plus grand nombre. À la manœuvre ici : Gérard Mulliez, fondateur d’Auchan et troisième fortune française, qui y pense depuis une dizaine d’années et a su faire œuvre de suffisamment de lobbying pour gagner des politiciens de tous bords à sa cause.
L’affaire passe également par un échange de bons procédés entre Immochan, la filiale immobilière de l’empire des Mulliez, et le géant chinois des loisirs Wanda, chargé de la réalisation des divers « parcs » : ce dernier est ravi de pouvoir venir concurrencer Disney sur ses propres terres, tandis qu’Auchan peut de son côté voir s’ouvrir les portes du marché chinois. Remarquons que le succès du projet n’est même pas une condition du profit : même si le complexe commercial périclite après-demain faute de la fréquentation annoncée, Immochan aura dans tous les cas réalisé une très juteuse opération spéculative, puisque la valeur des terrains, une fois construits, aura été démultipliée, jusqu’au centuple.
Voilà qui devrait inviter à considérer avec un peu de circonspection les mirifiques promesses d’emplois avancées, comme ne l’ont pas fait les deux partis qui dominent le jeu politique local, empressés d’apporter leur soutien au projet devant l’argument fatidique et irréfutable des miraculeux emplois. Même les « Verts » ont voté pour le schéma directeur de la région qui permet de bétonner à tout va8… Le très banal chantage aux emplois permet de faire de tout opposant un fourrier du chômage, tandis que, par un subtil retournement, les intérêts des précaires sont supposés converger avec ceux de leurs patrons hypothétiques.
Le chantage est d’autant plus efficace qu’on fait miroiter ces emplois dans un territoire sinistré, et ce alors même qu’il se produira le plus probablement ce qu’on a vu mille fois : des emplois qui ne seront pas pris par des locaux9, et des emplois créés que pour autant que d’autres sont détruits à côté10 – à moins d’espérer un boom de la consommation, qui ne pourra certainement pas reposer sur le pouvoir d’achat des habitants du département le plus pauvre de France.
On compte donc sur le tourisme, avec des prévisions faramineuses (31 millions de visiteurs annuels projetés, deux plus qu’à Disneyland). On l’entend partout : l’attractivité de notre pays est en jeu. N’est-ce pas la vocation de la France dans la division internationale du travail, que de devenir un grand parc d’attractions pour les nouvelles classes supérieures des pays émergents ? La muséification et la disneylandisation de la capitale, vouée à devenir une résidence de shopping de luxe pour des happy few du monde entier, le laisse déjà supposer.
Le « concept » d’EuropaCity aurait ainsi été au départ d’offrir une vitrine de notre continent organisée autour de cinq univers (britannique, méditerranéen, nordique, slave et français) pour « faire le tour de l’Europe en 8 heures comme autrefois le tour du monde en 80 jours ». Contrairement au centre commercial voisin, « Aéroville », lequel faisait encore un peu rétro, passéiste dans son futurisme nigaud des années 1950 à la Le Corbusier, EuropaCity promet par son nom même de propulser l’agglomération parisienne dans un radieux avenir « européen », qui avec ou sans Brexit parlera globish afin qu’aucun membre de la nouvelle classe moyenne mondiale ne se sente dépaysé de notre monde uniforme.
L’inconscient des communicants révèle la terrible pauvreté de ce l’« idée européenne » dans sa version contemporaine. Un tas de supermarchés, un réseau autoroutier par lequel transporter en Hollande les tomates espagnoles et en Espagne les tomates hollandaises11, un archipel de villes toutes pareilles. L’Union européenne comme association de consommateurs, avec EuropaCity pour capitale utopique. Les amateurs de point Godwin diront Germania ; faisons plutôt un point Corée du Nord (ce repoussoir providentiel qui a remplacé l’Union soviétique depuis la chute du mur) en disant que le projet nous évoque l’hôtel Ryugyong : même construction géante et inutile qui signe l’absurdité d’un système.
Nos gouvernants pourraient d’ailleurs signer un accord d’échange avec Kim-jong-un dans le cas où les touristes chinois tant espérés, mais un peu trop pressés dans leur « tour d’Europe » de quatre jours pour s’arrêter à Europa City, rechignent à y faire leurs emplettes : contre la venue des membres méritants du Parti du travail de Corée ravis de goûter aux joies du consumérisme à l’occidentale, on enverrait nos classes paupérisées, qui habituellement ne partent pas en vacances, remplir l’hôtel vide de Pyongyang.
Tout le monde y trouverait son compte, un peu comme dans les cars Macron : vous n’allez pas empêcher les pauvres de bénéficier d’une offre de transports ou de vacances adaptée à leurs moyens, quand même. De même, vous n’allez pas les empêcher de faire le ménage ou le molosse pour le confort de l’engeance touristique de tous les pays, et ainsi de « rentrer dans la dignité », ce qui arrive selon le même Macron aux jeunes de banlieue devenus chauffeurs Uber (apparemment il n’y étaient pas auparavant), une fois qu’ils ont arrêté de « tenir le mur » pour enfin « mettre une cravate ». Encore faudra-t-il seulement que ces emplois ne soient pas de la fumée.
Il n’y a de toute façon pas lieu d’opposer arguments économiques, sociaux et écologiques. Ils sont tous intriqués. À tout bien considérer, il n’y a vraiment que pour Mulliez qu’EuropaCity peut être un bon calcul. Si on accepte la terminologie du calcul, EuropaCity est un mauvais calcul pour le plus grand nombre. On espère l’avoir suffisamment montré. Et une fois dit cela ? Les opposants s’activent depuis un certain temps déjà, savons-en leur gré. De multiples projets alternatifs ont été proposés. Mais on peut craindre que manifestations, pétitions et même actions juridiques ne suffisent pas à enrayer le cours des choses en marche.
On a remarqué plus haut qu’EuropaCity était l’espace inhabitable par excellence. Qui imagine aujourd’hui des espaces habitables ? Les zadistes. L’inverse politique d’EuropaCity, c’est la ZAD ; sa vocation à en devenir l’inverse matériel semble donc toute tracée. L’invention de la ZAD est une des innovations politiques les plus réjouissantes des temps récents.
S’emparer d’un espace, le territorialiser, l’habiter, contre la propriété étatiquement sanctionnée, en s’alliant avec ceux qui y demeurent depuis le plus longtemps, qui y sont les plus légitimes et pour qui la ZAD n’est pas seulement un combat mais une nécessité, puisqu’on veut les faire dégager de ces terres qu’ils avaient faites leurs ; réfuter par la force de l’occupation la caractérisation mensongère « d’intérêt général » qui dissimule la coalition des intérêts privés (les ZAD sont d’intérêt général) ; inventer les lieux d’une vie différente et des nouvelles formes de communauté ; faire un pas de côté du système général de production et de consommation ; etc, etc : cette forme de résistance à l’ordre du monde en marche est non seulement belle et salutaire, mais surtout efficace, car les libertés chèrement conquises historiquement ont encore assez de force dans l’« opinion » pour contrebalancer la force brute de la police.
Le processus de relative pacification de nos sociétés fait que ladite police ne peut plus mitrailler la foule comme autrefois, et quand elle se résout à donner de la matraque ou du flashball, c’est toujours à ses dépens, car le pouvoir de l’image fait pencher la balance du côté des désarmés. La mort de Rémi Fraisse est un drame, mais pas une défaite. Alors, bien sûr, chacun est empêtré dans des contraintes diverses, (salariales, familiales, scolaires, etc), qui l’empêchent de sauter le pas. Il est probable qu’il y ait des conditions de possibilités du zadisme qui ne soient pas réunies chez chacun, selon son tempérament, sa trajectoire sociale ou même géographique. Mais il demeure certain qu’il y a là quelques cabanes à faire. À bon entendeur.
Notes
1. | ↑ | Grand Projet Inutile : un concept qui a fait parler de lui à propos de Notre-Dame-des-Landes, mais qui décrit pourtant un classique du capitalisme de connivence à la française, qui consiste en cette sainte alliance d’investissement privé (le triopole du BTP Bouygues/Eiffage/Vinci en tête de pont) et public autour d’un gros équipement aux répercussions douteuses. La décentralisation de l’aménagement du territoire, en permettant aux élus locaux de réaliser leurs fantasmes de transformer leur baronnie en nouvelle Shanghaï, en alimentant la course à l’échalote entre les territoires, et, il faut bien le dire, en multipliant le potentiel de corruption, a malheureusement accéléré le processus. |
2. | ↑ | Il n’y a pas moins que Parinor, Rosny 2 et Aéroville à proximité immédiate. Et les touristes chinois censés se précipiter à Europa City ont déjà de quoi faire avec le Val d’Europe et Disney un peu plus loin. |
3. | ↑ | Qui n’est actuellement que de quelques jours. Spécialisée dans la céréaliculture, l’Île-de-France importe sa viande, son lait, ses fruits et ses légumes, et, nerf de la guerre, ses produits alimentaires transformés. Polyculture et maraîchage y sont devenus marginaux. Nous dépendons complètement du réseau de transports et du pétrole pour manger : tout notre système agroalimentaire repose sur la faiblesse des coûts de transports en regard de leur immense coût environnemental (et, au passage, sur la manne de subventions qui permet aux champions de l’agriculture productiviste, européens comme américains, d’écraser les productions locales dans le monde entier). Le projet de substitution pour l’aménagement du triangle de Gonesse proposé par les opposants à EuropaCity consiste fort justement à en faire une plateforme d’agriculture périurbaine susceptible d’alimenter marchés locaux, cantines scolaires et circuits courts, et à mettre en valeur l’emploi local (car oui, tout cela crée aussi des emplois…). |
4. | ↑ | Sans même parler de pots-de-vin, de multiples social contributions permettent de lever tous les obstacles à la construction des hypers. La grande distribution est par ailleurs le premier annonceur de la presse régionale… |
5. | ↑ | C’est la nouvelle mode pour ce genre de projets que de faire semblant de demander son avis à la population locale par une « concertation » alors que la vraie concertation a déjà eu lieu depuis bien longtemps entre les pouvoirs publics et les investisseurs privés et qu’il n’est aucunement question de remettre en cause le fond du projet. Ce susucre concédé aux habitants, qui vise à donner l’illusion de la démocratie participative, n’est de fait qu’une opération de communication puisqu’en fin de compte rien n’y est décidé et qu’il s’agit avant tout de rassurer et de faire de la pédagogie. Comme dirait l’autre, l’important, c’est de participer. |
6. | ↑ | Sur le modèle des faits alternatifs, concédons qu’un concept alternatif de vie sociale est proposé. C’est ce que nous invite à penser un sociologue reconverti (et désormais « En Marche ») qui tient dans le magazine d’EuropaCity les propos suivants : « Comment amener la culture dans les supermarchés, qui sont les lieux de sociabilité de la jeunesse en Ile-de-France ? La première mission de la culture, c’est de vivre ensemble, de faire des côtelettes ensemble. ». |
7. | ↑ | Lors d’une conférence du Grand Paris, le préfet de la région Île-de-France a ainsi résumé un peu maladroitement sa perception de l’affaire à « des Chinois qui passent à l’hôtel de Noirmoutier [préfecture de la région Ile-de-France] qui signent des trucs, ça fait des milliards d’euros d’investissements ». |
8. | ↑ | Soucieux peut-être de leurs propres emplois au sein de la « majorité plurielle », au moment où elle gouvernait la région. Les communistes ont longtemps traité les socialistes de radis : rose à l’extérieur, blanc à l’intérieur. La métaphore végétale s’est primitivement faite à l’inverse pour le parti écologiste français qui s’est vu taxé par la droite anticommuniste de pastèque, verte dehors et rouge dedans : sous-entendu, des gauchistes recyclés dans tous les sens du terme. Il ne semble pourtant pas rester grand-chose de cette radicalité originaire présumée, si bien que transposant l’idée du radis, nous dirons que c’est maintenant de concombre qu’il faut parler : extérieurement vert et intérieurement blanc (le refus de l’idéologie qui veut dire l’idéologie dominante), cérébralement à l’état de légume, et bien sûr parfaitement invertébré. |
9. | ↑ | Les élus du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis) ont produit une contre-étude en partenariat avec le cabinet Lafayette associés qui montre que les emplois proposés ne sont pas en adéquation avec les compétences des habitants, notamment des métiers de bouche. La Seine-Saint-Denis a l’un des plus forts taux de chômage de longue durée, catégorie de chômeurs les moins « employables ». |
10. | ↑ | « Le chiffre de 11 800 emplois est totalement surestimé. Si l’on prend en compte le ratio emploi par m² du complexe EuroDisney et qu’on l’applique a EuropaCity, on obtient 5 832 emplois maximum. Et ceci, sans compter les transferts et destructions d’emplois. » dit Paris Terres d’Envol, association de maires qui s’oppose au projet, et demande plutôt un soutien financier aux structures existantes visant à désenclaver leurs quartiers. |
11. | ↑ | C’est une anecdote plaisante, que, dans les années 1980, dans la vallée du Rhône, un camion de tomates espagnoles en route vers la Hollande percuta un camion de tomates hollandaises en route vers l’Espagne. Probablement la main invisible du marché. |