Greenwashing du ministère de la trahison écologique
Le 15 février, un mouvement de grève pour l’environnement a été initié, à l’exemple de ce qui se pratique déjà en Belgique, en Suède, en Allemagne. La particularité française étant que ce mouvement se couple à des actions de désobéissance. Nous publions le récit de cette première journée de grève devant le ministère de la transition écologique, justement renommé « ministère de la trahison écologique » et repeint en vert par des dizaines de mains pour l’occasion.
Depuis l’AG de Jussieu qui a réuni plus de 300 personnes le 8 février 2019, la jeunesse de la région parisienne se mobilise pour son avenir écologique. Dès mardi, un « manifeste de la jeunesse pour le climat » avait été publié sur Reporterre, posant un premier ultimatum au gouvernement : si ce dernier ne s’engageait pas à respecter les accords de Paris d’ici le vendredi 15 février, la jeunesse se donnerait rendez-vous devant le ministère de l’Écologie ce même jour à 14h pour se faire entendre. L’événement Facebook, intitulé « Leçon 1 », rassemblait la veille plus de 600 participants annoncés.
N’ayant hélas pas reçu de nouvelles du gouvernement dans l’intervalle, nous nous sommes donc retrouvés à 14h, jeunes, lycéens et étudiants, sur le parvis du ministère. Le rassemblement n’était pas déclaré, car nous ne comprenons pas pourquoi il faudrait faire « autoriser » une colère légitime. Nous pensons comme Greta Thunberg que si les règles sont mauvaises, il n’y a aucune de raison de les respecter. De plus, il s’est avéré que les règles sont apparemment modifiables à volonté pour la police et le ministère. En effet, quand nous sommes arrivés, un monsieur patibulaire des renseignements généraux nous a ordonné de déguerpir en vitesse, au motif que nous n’avions pas déclaré la manifestation et que nous n’avions donc pas le droit d’être devant « notre » ministère, où travaillent pourtant les hauts fonctionnaires qui doivent nous rendre des comptes.
Nous étions alors scindés en deux groupes : un groupe qui s’est assis devant le ministère avec l’intention d’y rester malgré les intimidations, et un groupe plus conséquent qui s’amoncelait un peu plus bas sur le boulevard derrière une muraille de CRS. Puisque ce second groupe commençait à être franchement nombreux et gênant (il bloquait la circulation sur le boulevard), la police leur a finalement accordé de rejoindre le groupe assis devant le ministère. Nous étions alors 500, vers 14h30. Au fur et à mesure que les gens arrivaient, une jolie diversité de slogans se faisaient entendre « On est plus chauds que le climat », « Un pas en avant, deux pas en arrière, c’est la politique du gouvernement », « Anticapitaliste », etc. Les CRS laissaient entrer mais pas sortir : très vite, ils ont « sanctuarisé » une grande portion de trottoir et de route autour de la porte du ministère.
Ce dispositif d’encerclement s’appelle une « nasse », et on peut se demander s’il était nécessaire étant donnés la moyenne d’âge et le caractère fort sympathique de ce rassemblement. De plus, nous mesurons-là toute l’hypocrisie des paroles de François de Rugy, qui se félicitait dans les médias le matin même que « des jeunes manifestent devant le ministère » : au vu de l’accueil et du traitement qui nous a été réservé sur place, on peut affirmer que non, contrairement à ce que pense le ministre, nous n’allons pas « marcher main dans la main ».
Autre contact avec un membre du gouvernement, autre déception : une fois que nous étions installés et nombreux devant la porte du ministère, il n’était subitement plus question de nous virer, mais de nous dépêcher la secrétaire d’État Brune Poirson pour « établir le dialogue ». Un syndicaliste de la FIDL, Jules Spector, lui a complaisamment prêté son mégaphone pour qu’elle puisse nous annoncer qu’elle était très contente de nous voir ici (eh bien, il y a 30 minutes, on nous disait de partir ?), et qu’elle souhaitait que nous envoyions une délégation au ministère pour parlementer. La foule, coupant les prises de paroles impromptues de Brune Poirson par des slogans (« écologie libérale, mensonge du capital », « c’est dans la rue, c’est pas dans les salons qu’on obtiendra satisfaction »), lui a quasi unanimement signifié qu’il n’y avait pas ici de « délégués » ou de « représentants », et que si elle voulait dialoguer, elle n’avait qu’à rester en bas avec nous et demander son tour de parole comme tout le monde. Par ailleurs, il ne s’agissait pas vraiment de discuter, mais d’obtenir une réponse par rapport à notre manifeste : le gouvernement allait-il, oui ou non, présenter immédiatement un plan contraignant pour réduire les émissions de GES d’au moins 4 % par an ? Brune Poirson n’a pas daigné nous répondre. Elle est remontée dans son bureau, prétextant qu’elle attendrait que nous soyons « plus organisés ».
Des débats ont alors eu lieu parmi les étudiants et lycéens assis : si nous donnons l’impression de refuser le dialogue avec les institutions, est-ce que nous n’allons pas nous décrédibiliser ? Ce à quoi plusieurs intervenants répondent : s’il y a quelqu’un qui n’est pas crédible ici, c’est bien ceux et celles qui travaillent au ministère de l’écologie ! Si nous refusons d’envoyer une délégation, c’est parce que le dialogue a déjà lieu tous les ans dans les COP, dans les rapports du GIEC. Les dirigeants savent très bien ce qu’il faut faire. Qu’importe que nous refusions aujourd’hui leurs conditions pour dialoguer, quand eux refusent d’agir depuis des dizaines d’années ! La foule acclame cette décision : pas de représentants aujourd’hui, ce qu’on veut, c’est un oui ou un non. On apprendra par la suite que, contrairement à la décision prise collectivement, trois personnes (dont deux de la FIDL) ont cru bon de s’auto-déléguer auprès de Brune Poirson : malheureusement, nous ne sommes toujours pas au courant des avancées majeures qui ont pu être obtenues à ce rendez-vous en catimini.
Après quelques discussions et slogans enthousiastes, nous avons senti que nous n’obtiendrions rien du ministère de l’Écologie, et nous nous sommes donc avisés de partir vers l’Assemblée pour essayer de faire entendre notre requête. Alors que la situation ne présentait aucun risque, la police a resserré ses camions et ses lignes de CRS, repoussant de leur bouclier ceux et celles qui s’approchaient pour partir en manifestation. Nous étions donc littéralement enfermés dehors devant le ministère. Ce n’est qu’une heure plus tard que la police commence à laisser passer au compte goutte les personnes qui souhaitaient rentrer chez elles, nous permettant ainsi de nous compter : nous étions 1039 (et pas 200 comme l’ont menti certains médias). Le processus de sortie était très long et intimidant pour des lycéen.nes et étudiant.es qui étaient beaucoup à n’avoir jamais manifesté : fouille systématique, contrôle d’identité, tutoiement, vociférations et autres amabilités policières. Cela a duré jusqu’à 19h.
Pour François de Rugy et Brune Poirson, féliciter les jeunes de faire la grève et « marcher main dans la main » signifie donc « tenter de dégager les jeunes, puis en cas d’échec, leur proposer un dialogue factice, tout en les nassant pendant plus de 4 heures ». Nul doute que tout le monde se souviendra de cet accueil chaleureux, et que la confiance dans la politique écologique du gouvernement en sortira renforcée !
Puisque nous avions du temps à tuer durant ces 4 heures de nasse policière, divers travaux pratiques ont été entamés devant le ministère. Certain.es ont accroché des banderoles, d’autres ont commencé à écrire sur le sol à la peinture verte. Certain.es ont corrigé les mensonges du ministère au feutre sur les affiches publicitaires qui étaient suspendues aux murs, d’autres entonnaient des chansons et des slogans.
Finalement, un jeu « collaboratif » a spontanément été engagé : faisant peu de cas du label « monument historique » du bâtiment, de jeunes lycéen.nes se sont mis.es à tremper leur main dans le seau de peinture verte pour « greenwasher » la façade de ce ministère de pacotille. Au bout de l’opération, des centaines de mains vertes s’étaient apposées sur le mur : un signe de résistance de la part de ceux à qui la police a dit « vous ne ferez rien aujourd’hui », mais aussi un geste symbolique fort qui signale à quel point le ministère de l’écologie n’est pas assez vert ! Il est à noter que la police n’a pas guère fait preuve de conscience écologique, car elle a contrôlé systématiquement les mains de toutes les personnes qui souhaitaient sortir. Seul un nettoyage laborieux et collectif des mains des « coupables » a pu permettre une sortie sans encombre.
Concluons donc que cette journée a été à la fois décevante et satisfaisante. Décevante, car notre ultimatum lancé au gouvernement (qui n’est autre que le respect des règles qui s’est lui même fixé dans les accords de Paris) n’a reçu qu’une réponse significative, celle de la police qui nous a nassé pendant 4 heures : c’est là que nous mesurons tout l’écart entre la réalité de l’inaction du gouvernement, et la volonté affichée publiquement par François de Rugy et Brune Poirson de « dialoguer » avec nous. Mais cette journée nous a aussi permis de nous compter, et nous sommes déjà plus d’un millier à faire la grève à Paris. Soyons plus nombreux et nombreuses et plus déterminé.es pour la leçon 2 la semaine prochaine, à l’occasion de la venue à Paris de Greta Thunberg !
Camille(s).