Un pour tous, tous pour un ! – Sur Christophe Dettinger
Porté aux nues ou vilipendé, Christophe Dettinger, boxeur de flic, n’a laissé personne indifférent. Une cagnotte en ligne diffusée le lundi 7 a rapidement récolté des dizaines de milliers d’euros. Il y avait là de quoi terrifier les quelques avatars du gouvernement toujours aveuglément convaincus que « le peuple », cette majorité silencieuse généralement si docile, soutiendrait l’État et sa police contre vents et marées. C’est une Marlène Schiappa nerveusement agitée qui demandait ainsi, prise d’un accès d’irritation révélateur, la divulgation de l’identité des donateurs1.
Mais l’essentiel est ailleurs : Christophe Dettinger, quoi qu’on en dise, n’a pas le profil d’un militant issu des rangs de l’extrême-gauche ou de l’extrême-droite. Les quelques dossiers déterrés pour ternir son image n’ont rien de bien concluant. Le mythe médiatique du casseur se disloque. Se dessine plutôt le portrait d’un citoyen lambda, peu politisé, ayant selon certaines sources voté sans grande conviction pour Hollande en 2012. Désormais, l’usage de la force physique lors d’une manifestation peut avoir une origine qui n’a, au sens traditionnel, rien de politique, théorique ou stratégique. Du fait des coups subis depuis deux mois, par un réflexe défensif ou par une compréhension implicite de la nécessité d’en passer par là, n’importe qui est devenu susceptible de sortir ses poings.
On comprend que pour le pouvoir, cela puisse avoir l’air d’un cauchemar. Les principes du maintien de l’ordre mis en place depuis le début des années 2000 se retournent contre leurs initiateurs. Il était bien question, avec les divers décrets et lois pris dans le cadre de l’état d’urgence, de considérer n’importe qui comme une menace possible. Il fallait pouvoir contrôler tout le monde, prévoir et arrêter préventivement les auteurs de désordre potentiels. En témoignaient par exemple les interdictions de manifester émises à l’encontre de militants écologistes au moment de la COP21 ou plus tard lors de la loi Travail2. Le durcissement des mesures « anti-casseur » annoncées ces derniers jours par Edouard Philippe va dans le même sens3. Mais voilà qu’avec les gilets jaunes, n’importe qui devient effectivement un casseur. Marlène Schiappa a finalement raison d’avoir peur… On ne pourra quand même pas arrêter tout le monde.
Place Beauvau, des technocrates avisés regrettent peut-être les années 90, quand la règle directrice du maintien de l’ordre ne consistait pas à zigouiller tout un chacun mais simplement à contenir des manifestants temporairement énervés. En imaginant les conséquences des violences policières répétées sur l’opinion publique, ils regrettent peut-être même mai 68, quand Maurice Grimaud, le préfet de police de l’époque, expliquait à ses agents que « frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière. »4. Malheureusement pour eux, Edouard Philippe est un entêté qui ne s’arrêtera pas semble-t-il, en si bon chemin.
Nous avons lu avec joie la seizième Lettre Jaune que vous pouvez aussi retrouver sur la page facebook : Les Lettres Jaunes.
Il est devenu le symbole de notre mouvement. Il est devenu le visage de notre combat. Christophe Dettinger représente l’imaginaire collectif dont nous avions besoin pour lutter contre ceux d’en haut. Il est David contre Goliath ; il est l’homme à mains nues contre la machine ; il est la colère d’en bas contre la répression pernicieuse d’en haut. Il est celui qui fait face ; il est celui qui affronte ; il est celui qui remet les poings sur les J ! Il est Gilet jaune ! Il est la preuve que la marche en avant d’en bas fera toujours reculer l‘oppression déguisée d’en haut. Pour eux, Christophe Dettinger représente la violence, le délit, l’attaque, la lâcheté contre la République. Pour nous, il est le courage, la détermination, la fin de notre asservissement, et le début de notre libération ! Notre démarche d’en bas est humaine. La posture d’en haut est inhumaine.
Se faire justice ou faire justice au nom de la souffrance sociale ne constitue pas un délit. Au contraire, c’est la preuve réelle d’une injustice institutionnelle ! C’est la protestation radicale contre un ordre économique qui anéantit tous les liens de solidarité au nom du droit et du marché ! Car pour ceux d’en haut les liens humains réels sont secondaires. Ils veulent, au contraire, les détruire pour bâtir un univers froid, implacable, et égoïste. Ceux d’en haut oublient que l’Homme n’existe pas grâce à la loi, mais que la loi existe par et pour l’Homme ! Ce sont d’abord les hommes, en chair et en os, que la loi est censée représenter ! Mais elle est devenue au fil du temps celle qui détruit les hommes grâce à son arsenal individualiste et marchand ! Pourtant, la loi est par principe universelle et majoritaire ! Mais la loi de ceux d’en haut est inique et minoritaire ! Notre lutte d’en bas est donc légale ! Nous déclarons ceux d’en haut illégaux ! Que les forces de l’ordre le sachent : ils sont les complices d’un ordre illégal !
Alors, nous, hommes d’en bas nous opposons avec force une autre légalité : celle des liens communautaires. Notre cagnotte de soutien à Christophe est l’illustration de rapports sociaux fondés sur le « donner, recevoir et rendre ». Mais, hélas, ceux d’en haut ne comprennent que les liens atomisés et séparés. Ils ont donc, encore une fois, condamné, bloqué, et volé froidement dans les fonds de tiroirs de la solidarité d’en bas. Notre don n’est pas marchand ; il n’est pas calculé ; il n’est pas anticipé. Notre don est le mouvement réciproque de liens qui libèrent face aux chaînes qui nous enserrent. Dans les bastions généreux de ceux d’en bas, il existe des héritages communautaires qui sont autant de structures de vie commune et solidaire. En condamnant ce soutien populaire, ceux d’en haut ont prouvé définitivement leur haine pratique contre la possibilité de vivre autrement. Ils n’aiment pas le Nous ; ils ne comprennent que le Je. Christophe est un individu ; il est un suspect à interpeller ; il n’est rien d’autre. Tout ce qui existe en dehors de la sphère individuelle est une entrave aux valeurs de la République ! Preuve que la République d’en bas n’a rien à voir avec celle d’en haut.
Nous comprenons désormais qu’une structure sociale différente, assise sur des fondations communes, sera toujours taxée d’illégalité par ceux d’en haut : notre cagnotte est indigne ! Notre cagnotte est dégoûtante ! Notre cagnotte est honteuse ! Mais ces grands moralistes d’en haut devraient commencer par se poser la question : les jackpots légaux d’en haut sont-ils des jackpots moraux ? Les jackpots légaux d’en haut ne sont-ils pas des violences mortelles contre le vivant, la planète, les animaux, les liens sociaux, la fraternité, la famille, l’amour, la tendresse, l’amitié, le partage ? Le droit d’en haut est un droit de mort sur la vie ! Le notre est un droit de vie sur la mort ! Notre droit d’en bas est concret ! Le leur est illusoire et abstrait ! Notre droit d’en bas tient compte de la vie sensible ! Leur droit d’en haut veut éliminer la vie réelle !
Nous leur parlons de notre souffrance humaine ! Ils ne savent répondre que par des chiffres, des menaces, des balles, et des codes pénaux ! Nous voulons parler à des hommes ! Mais nous parlons à des calculettes, et à des juges ! Alors à présent, mes amis, les choses ont le mérite d’être claires : le combat ou la mort !
A Nous.
Notes
1. | ↑ | Sur France info, dans l’instant politique. |
2. | ↑ | Voir par exemple : « Quand l’État d’urgence rogne le droit à manifester » |
3. | ↑ | Voir : « Le projet de loi « anticasseurs » d’Edouard Philippe est-il juridiquement tenable ? » |
4. | ↑ | Voir : https://blog.francetvinfo.fr/police/2018/05/05/29-mai-1968-lettre-de-maurice-grimaud-prefet-de-police-aux-policiers.html |